Par Foued ALLANI Voilà que ces petites taches brunes commencent à se bousculer sur le dos de la main, sur le visage, sur les épaules… On les appelle «les fleurs du cimetière» et elles annoncent le début de la fin… Disons plutôt un troisième âge couvant l'immense espoir d'un quatrième qui suivra… Sans trop de problèmes, sans une dépendance quelque peu dégradante, sans trop de souffrances. Fleurs du cimetière. Drôle de nom qui, disons-le tout de suite, n'a rien de drôle. Signe infaillible du vieillissement, de l'automne de la vie. L'automne de la vie, le déclin, le crépuscule… Le sommeil éternel. Un composant essentiel de la vie. Puisqu'il n'y a pas de vie sans ce processus inexorable qui fait qu'elle puisse prendre fin. C'est en fait la mort qui donne un sens à la vie. A la différence de la conception populaire, basée sur notre bonne vieille civilisation méditerranéenne, celle du blé qui considère l'automne comme le début d'un cycle, l'automne, le vrai, renvoie directement à l'image parfaite du vieillissement. De la nature vivante et celle que nous appelons inerte, les astres, les étoiles, l'univers. Il est aussi et depuis Ibn Khaldoun le symbole du déclin des Etats et les dynasties. Un début dans la civilisation du blé Dans la civilisation du blé, l'automne symbolise le début de la saison agricole, celle des semailles. La saison qui prend la relève sur celle des moissons, avec son «aoussou» (du 24 juillet au 2 septembre) qui ferme la marche et au cours duquel aucune fleur locale ne s'épanouit ou presque. Saison des semailles, saison des rentrées… au cours de laquelle la vie sociale reprend son cours normal après l'intermède estival caractérisé par le farniente, les fêtes, les retrouvailles. D'où cette illusion qui va jusqu'à confondre le début de la fin avec une renaissance. Un retour qui n'a donc rien à voir avec le vrai sens de l'automne, synonyme de déclin. Saison au cours de laquelle les jours se raccourcissent de plus en plus et au cours de laquelle les arbres perdent leurs feuilles et se préparent à l'hibernation. «Echte chidda, ou errbii m'nem, ou essif dhif ouel khrif hawa laâm» dit notre bon vieux dicton (l'hiver est rigueur, le printemps un rêve, l'été un invité et c'est l'automne qui, lui, est l'année). Car qui sème récolte. Et qui sème doit d'abord labourer la terre. Symbolique de la fécondation que l'on retrouve aussi dans le Coran. Nous voilà méditer à propos du vieillissement. Celui des organismes vivants d'abord. Des organismes microscopiques, dont la vie ne dépasse pas quelques heures, jusqu'aux arbres plusieurs fois millénaires. Rehaussant sa nature par sa culture, l'homme, lui a donné un sens à ce déclin généralisé. L'homme vieillissant peut gagner en sagesse, statut social, pouvoir financier ou politique ce qu'il perd en force, agilité, endurance… A la recherche d'un bon vieillissement Chez l'homme il y a aussi la recherche d'un bon vieillissement et la course effrénée aux méthodes pouvant retarder un tant soit peu les signes de ce processus inévitable. Conséquence immédiate, l'amélioration de l'espérance de vie à la naissance, mais pas n'importe quelle vie. Une vie de meilleure qualité d'où la notion d'espérance de vie sans incapacité (voir : OND - Rapport de la 2e assemblée mondiale sur le vieillissement - Madrid, 8-12 avril 2002). Phénomène qui va contribuer au vieillissement des populations, l'inversion de la pyramide des âges et l'avènement des sociétés des seniors (papy-boom). Près d'un milliard de personnes sont, en effet, âgées aujourd'hui de 60 ans et plus. Elles seront deux milliards, soit le double en 2050 (600 millions en l'an 2000). De denrée rare dans les sociétés traditionnelles où elle jouit d'un statut privilégié, la personne âgée va donc se retrouver faisant partie d'une large catégorie sociale. D'où la naissance d'un vrai marché ciblant cette population à besoins spécifiques. «Perte progressive et irréversible de la capacité d'adaptation de l'organisme aux conditions de l'environnement» disent les spécialistes en parlant du vieillissement. Il s'agit donc d'inverser les situations et faire adapter les conditions de l'environnement à cet organisme. De l'alimentation adaptée, à l'architecture pour 3e âge en passant par les habits, les médicaments, les équipements sanitaires, les prothèses, les portables affichant des caractères plus gros… les marketteurs, concepteurs et producteurs ne manquent pas ici d'imagination. Des métiers et des activités orientés seniors ont même vu le jour, une science aussi, la gérontologie. Restons dans le marketing pour évoquer la notion de vieillissement d'un produit (n'importe lequel) et surtout de la notion de rafraîchisssement. Il s'agit en fait de procéder à des adaptations permettant à chaque produit ayant atteint la maturité (donc juste avant le phase de déclin), de jouir d'une nouvelle vie donc d'une rentabilité satisfaisante. Processus qui pourrait lui aussi être renouvelé autant de fois que nécessaire. Clin d'œil à ce vieux rêve de l'humanité d'atteindre un jour la jeunesse éternelle. L'univers lui aussi est en train de vieillir. Selon la théorie du «Big Bang», il est apparu il y a 13 milliards et demi d'années et continue se s'étendre (expansion). Indéfiniment ? Viendra le jour où il mourra ? Comment le savoir. En tout cas, le fait qu'il existe un commencement induit qu'il doit y avoir certainement une fin. Viendra donc le jour où notre univers s'éteindra. Laissera-t-il la place à un autre ? Qui sait ? C'est sans doute à l'image des étoiles qui constituent cet univers, qui naissent, évoluent puis meurent. Notre planète Terre est elle aussi en train de vieillir. De mal vieillir, car elle subit non un vieillissement naturel, mais celui qualifié d'usure. Grave, car terrain propice aux dysfonctionnements majeurs, c'est-à-dire pour être plus clair aux catastrophes. Mais vieillissement n'est pas synonyme de stérilité ni de laideur. Les couleurs, les senteurs et les saveurs de l'automne sont là pour attester de cette vérité. Avec ou sans «été indien», l'automne possède son propre charme. L'or des forêts c'est aussi le gris des cheveux. Et «les fleurs du cimetière» resteront quand même des fleurs.