D'après les chiffres officiels, 73.354 écoliers et 46.484 collégiens et lycéens ont rejoint, le 15 septembre, les 312 écoles et 74 collèges et lycées du gouvernorat. Or, si pour beaucoup d'élèves tout s'est bien passé, dans une ambiance de retrouvailles et de bonne humeur, il n'en est pas de même pour d'autres à cause de l'absence de cadre enseignant (le gouvernorat aurait besoin de 1.337 instituteurs et 85 professeurs), de travaux inachevés ou pas encore commencés au niveau des salles de classe, des cantines, des blocs sanitaires, des clôtures et des dortoirs, cela sans oublier l'absence d'eau potable dans 157 écoles rurales, de transport scolaire et d'équipements nécessaires. C'est pour toutes ces raisons que beaucoup de parents organisent quotidiennement des sit-in devant les écoles pour crier leur détresse et pour dénoncer l'absence prolongée du cadre enseignant et l'état déplorable des locaux qui risquent de s'écrouler à tout moment. Il va sans dire que cette ambiance chaotique qui se renouvelle à chaque rentrée scolaire nuit considérablement à l'intérêt des élèves car l'arrêt périodique des cours a un impact négatif sur leur scolarité. Notons que 75% des élèves en milieu rural n'ont pas eu cours jusqu'à aujourd'hui (26 septembre). C'est pourquoi nous nous sommes rendus dans plusieurs délégations pour nous rendre compte de visu des efforts déployés dans les établissements éducatifs et relever aussi les manquements auxquels il est possible de remédier. A l'école Brahmia, la fonction de gardien, de directeur et d'instituteur est exercée par une seule personne. Plus de 6 km séparent la localité de Brahmia d'El Ala-centre. Notre véhicule avance avec peine sur des pistes caillouteuses. De petites collines paisibles présentent des paysages sablonneux au milieu d'une infrastructure primitive. Près de l'école Brahmia qui compte 81 élèves et trois salles de classe, nous trouvons des parents qui se lamentent de l'état déplorable de cette école où il n'y a ni blocs sanitaires ni clôture, cela outre l'absence totale d'enseignants. Salah Brahim nous interpelle d'une voix maussade : «C'est pour ce manque d'infrastructure que nous avons bloqué la route reliant Brahmia à la localité de Jwamiya (Sayada-nord). Et face à nos sit-in et protestations, la direction régionale de l'éducation a chargé un instituteur pour exercer trois fonctions : celles de directeur, de gardien et d'enseignant». Inimaginable en 2017. Sa fille, Ourida, renchérit : «L'année dernière, nous sommes restés 2 mois sans étudier. Et je vois que c'est la même chose cette année. De ce fait, notre niveau laisse à désirer et mes voisins, qui étudient dans d'autres écoles bien nanties, nous regardent comme des attardés !». Nous admirions ce visage au nez retroussé, aux joues un peu molles qui trahissent un cœur désespéré et nous nous sentions impuissants en face d'une telle détresse. Mme Rebhi, mère de 4 enfants, nous précise que «comme il n'y a pas de logements à proximité de cette école, les instituteurs suppléants qu'on nomme chaque année sont obligés de passer la nuit dans des salles de classe froides et humides. C'est pourquoi, au début des vacances d'été, ils partent sans jamais revenir. En un mot, c'est le désespoir à l'état pur pour eux, pour toutes les familles de Brahmia et pour nos enfants dont beaucoup finissent par abandonner... On en a marre de tout encaisser !». Face à de tels propos, nous avons tourné en rond, nous avons écrasé beaucoup de branches mortes et autour de nous, le silence était total. Toujours à El Ala, à l'Ecole Dhibet située dans une zone montagneuse, les élèves n'ont pas eu cours depuis le début de l'année. Mokhtar Hadhibi, père de deux filles scolarisées, nous interpelle : «Je vous assure que j'ai dû emprunter 250 D pour acheter les fournitures scolaires et les tabliers... tout cela pour rien ! Mes filles sont désespérées et veulent que je les inscrive dans une autre école à Haffouz. Mais je n'ai pas les moyens de débourser quotidiennement la somme de 4 d pour le transport...». A Oueslatia Beaucoup plus loin, dans la délégation de Oueslatia, la plus romantique des saisons se fait sentir : un automne à l'odeur de plantes diverses et de montagnes aux pentes douces où se trouvent beaucoup de villages aux conditions climatiques et géographiques difficiles et dont les habitants trouvent que la précarité de leur existence n'a jamais été atténuée. D'ailleurs, beaucoup d'écoles manquent des nécessités les plus élémentaires avec l'absence d'enseignants (23 écoles manquent d'enseignants), de cantines, de blocs sanitaires et d'eau potable. Ainsi, à l'école Ras El Itha fréquentée par 100 élèves, seule une salle de classe, sur les 4 existantes, est en bon état. C'est pourquoi les parents ont empêché leurs enfants d'entrer en classe. Belgacem Khammari, père de 5 enfants, nous précise dans ce contexte : «Il était prévu que des travaux de restauration soient effectués dans cette école délabrée depuis plusieurs mois. Or, jusqu'à présent rien n'a été fait à cause de problèmes administratifs et financiers. Aux dernières nouvelles, les travaux débuteront très prochainement et nos enfants doivent s'armer de patience pour faire quotidiennement 6 kms à pied pour rien car ils ne trouvent ni local adéquat ni enseignants !». Ce même constat est vécu dans les écoles Aouled Ayar (80 élèves) où il n'y a qu'un seul instituteur, à l'école Zaghdoua, à l'école Tawsaa et à l'école Oued El Gssab où il n'y a qu'un directeur et aucun instituteur. Seule l'école Rimani est bien nantie et tous les élèves ont eu leurs instituteurs dès le 15 septembre. A Bouhajla, revenez le 2 octobre! Dans la délégation de Bouhajla qui compte 120.000 habitants et 42 écoles, le manque d'eau, la soif, le chômage, le relief accidenté et le manque d'infrastructure ont contraint beaucoup de villageois à l'exode. En outre, on manque énormément de loisirs et d'activités culturelles et les jeunes s'ennuient énormément. Ramzi Methnani, 15 ans, nous confie : «Après une semaine de travail au collège, on ne sait pas où aller. La routine de nos week-ends a autant de rigueur que le rythme des saisons. Le moindre événement nous jette dans l'extraordinaire! Personnellement, il m'arrive de passer des heures rester assis et ne rien faire. Quelle existence pleine de routine pour une jeunesse désœuvrée!». Notons qu'au collège de Bouhajla-Ccentre, les élèves s'entassent jusqu'à 38 dans des classes ne peuvent en accueillir que 32. De ce fait, 6 élèves ne trouvent jamais de place. Cela rend la tâche difficile aux enseignants et encourage les fraudes et l'indiscipline. Par ailleurs, 23 écoles ne disposent pas d'eau potable, ce qui pose le problème de l'hygiène et oblige les responsables à recourir aux citernes dont certaines sont rouillées. A l'école Bir Chourafa (imadat Chraïtiya) où il y a 7 salles dont 4 risquent de s'écrouler, il n'y a ni blocs sanitaires ni clôture, d'où le désarroi des 350 élèves dont la vie est menacée par les gros serpents, les chiens et les sangliers et cela devant les salles de classe. Par ailleurs, à l'école Henchir Trad située à imadat Chwamekh, les parents ont décidé de fermer cette institution éducative et exigent la nomination d'enseignants. Même chose à l'école Aouled Achour (imadat et Jnina-nord) où les parents, en colère, en ont ras-le-bol suite à l'absence prolongée des enseignants. Enfin, à l'école Aouled Bouhouch, on a dit aux parents dont les enfants sont inscrits en 1ère et en 2e années «faites revenir vos enfants le 2 octobre car leur institutrice vient d'accoucher !». D'où la déception des jeunes élèves qui ne comprennent pas pourquoi on ne désigne pas de suppléant. Autres délégations, mêmes doléances Dans la délégation de Kairouan-sud, les habitants de la localité de Dwaher, qui ont empêché leurs 150 enfants d'aller à l'école, ont finalement accepté, le 23 septembre, qu'ils réintègrent leurs classes. Cette concession est venue à la suite de la décision prise par les responsables de procéder au forage d'un puits qui va alimenter leur école en eau potable. Et à l'école Henchir Bichi où 4 cas d'hépatite ont été enregistrés, les familles voudraient qu'on construise une clôture autour des 4 salles et qu'on trouve des solutions pour fournir aux élèves de l'eau potable qui soit saine. Suite à leurs mouvements de protestation, le délégué de Kairouan-sud a fourni quotidiennement de l'eau minérale à tous les élèves, et ce, en attendant le forage d'un puits d'ici un mois. Dans la délégation de Haffouz, et plus précisément à l'école Khatafa (imadat Aïn el Bidha) créée en 1960 et fréquentée par 450 élèves, 12 instituteurs sont absents sur les 25 affectés à cette école. Fethi Agrabaoui, père d'un garçon, nous dit à ce propos: «Chaque année, on assiste, impuissants, à ce phénomène et on ne comprend pas pourquoi 130 élèves sur les 450 peuvent avoir cours. C'est injuste, c'est pourquoi on a fermé aujourd'hui (25 septembre) cette école et on a bloqué la route nationale 3 pour faire entendre nos doléances, d'autant plus que cette école n'a ni eau ni électricité...». Toujours à Haffouz, à l'école Aouled Issaoui, qui a été créée en 1991, on manque de clôture, de cantine et de beaucoup de commodités nécessaires. En outre, les élèves n'ont pas eu cours depuis le début de l'année. C'est pourquoi tous les parents des élèves ont bloqué, le 26 septembre, les routes reliant Haffouz à El Ala, et celle reliant Kairouan au Kef.