Du côté de la société tunisienne, il y a toujours un sentiment d'insatisfaction, voulant pousser le partenariat avec l'UE à plus de pragmatisme, de globalité et de diversification d'intervention. D'où il est temps de regarder la réalité en face pour toucher d'autres priorités de discussion, à savoir droits économiques et sociaux, égalité entre hommes et femmes, justice, mobilité et migration L'EuroMed Droits vient de souffler, à Tunis, sa 20e bougie, bien entouré de ses membres fondateurs et bien d'autres partenaires associatifs d'ici et d'ailleurs. L'ambiance était festive et conviviale, rassemblant la famille élargie du réseau autour des questions des droits de l'Homme, sous leurs multiples facettes. Ce fut encore une pause où l'auto-évaluation à mi-parcours, avant et post-révolution, s'avère plus que nécessaire. Soit reculer pour mieux sauter. En célébrant son anniversaire, le Réseau EuroMed Droits a tenu, vendredi dernier, un séminaire intitulé «Société civile, Union européenne et pays du sud de la Méditerranée : défis, enjeux et perspectives », auquel a été convié un parterre de droidelhommistes et des ONG nationales reconnues pour être une force de pression et de proposition. A l'ouverture, le mot de bienvenue a été prononcé par M. Michel Tubiana, à la tête du Réseau, depuis 2012. Son prédécesseur, Kamel Jendoubi, ancien ministre des Relations avec les institutions constitutionnelles, la Société civile et des Droits de l'homme, a, lui aussi, intervenu en qualité de président d'honneur. L'homme de cœur et militant, comme l'a qualifié Sana Ben Achour, présidente de « Beity » et animatrice du débat, a révélé ses quatre vérités. Une manière de questionner la réalité des relations tuniso-européennes et de savoir à quel point leur partenariat pourrait être réellement stratégique. Et non pas juste une politique de voisinage figée et conditionnée par le diktat « dons contre sécurité », à l'image de « pétrole contre nourriture ». Un nouvel ordre imposé par l'avènement du « Printemps arabe » et l'émergence de l'hydre terroriste comme menace de la stabilité dans les deux rives de la Méditerranée. « La crédibilité de l'UE sera aussi mesurée à l'aune de son engagement dans son voisinage », disait l'orateur, lors de la rencontre de juillet dernier. Et là, M. Jendoubi a voulu livrer quelques idées de réflexion qu'il juge utiles pour mieux comprendre les orientations du dialogue tripartite Tunisie - U.E- Société civile, déjà lancé depuis 2014. Connaissons-nous l'UE ? Comment faire pour que ce nouveau cadre soit au service de la transition du pays d'ordre politique, économique et socio-culturel et environnemental ? Aussi, la Tunisie a-t-elle une stratégie vis-à-vis de l'Europe ? Comment peut-elle réinventer ses rapports pour assurer son avenir ? La société civile a son mot à dire Cette Europe constitue-t-elle pour nous un enjeu d'avenir ? Il y a, selon lui, pas mal d'interrogations qui inquiètent. Pourtant, l'UE ne cesse de réitérer l'intérêt qu'elle accorde à ses liens de coopération avec la Tunisie, partenaire réputé privilégié. D'autant plus qu'elle a fortement applaudi la démocratie naissante de la Tunisie, faisant valoir son expérience inédite dans la région comme une source d'espoir dans les pays du voisinage immédiat de l'Europe. Sans pour autant oublier son appui financier et les dons alloués. Toutefois, une vision réductionniste persiste encore à l'égard de nos voisins du nord. Du côté de la société tunisienne, il y a toujours un sentiment d'insatisfaction, voulant pousser le partenariat avec l'UE à plus de pragmatisme, de globalité et de diversification d'intervention. D'où, il est temps de regarder la réalité en face pour toucher d'autres priorités de discussion, à savoir droits économiques et sociaux, égalité entre hommes et femmes, justice, mobilité et migration. Ainsi, Massoud Romdhani (Ftdes), Abdelmajid Dabbar (Tunisie écologie), Nouri Lajmi (Haica) et bien d'autres intervenants n'ont pas manqué de relever un certain déficit de coopération avec l'autre rive de la Méditerranée. Une sorte de perte de confiance, aux dires de M. Jendoubi. Mais, l'ambassadeur chef de la Délégation de l'UE en Tunisie, M. Patrice Bergamini, s'est dit optimiste. De son avis, ce 20e anniversaire de l'EuroMed devrait faire bouger les lignes, de nature à fructifier les engagements extérieurs avec les parties prenantes. « Les vraies priorités de l'UE sont les régions intérieures, l'emploi et la jeunesse», précise-t-il. Selon lui, la démocratie se traduit par la répartition équitable des richesses nationales, l'alternance au pouvoir et l'égalité des chances. Il a estimé que la Tunisie est parvenue, en partie, à réussir sa transition démocratique. « Elle est le seul pays dans la région à avoir organisé des élections libres, pluralistes et transparentes.. », loue M. Bergamini. Certes, il y a des difficultés, reconnaît-il, mais il ne faut pas douter de la Tunisie et du courage retentissant de son peuple en 2011. D'ailleurs, poursuit-il, la Tunisie était pionnière dans le lancement, depuis trois ans, d'un dialogue tripartite engageant, sur la même ligne droite, les autorités tunisiennes et européennes avec la société civile nationale. A l'en croire, il s'agit, là, d'une opportunité à saisir. Le président d'EuroMed Maghreb, M. Ramy Salhi, perçoit l'UE comme une opportunité, mais il faut savoir la négocier. « Vingt ans déjà, nous sommes, aujourd'hui, fiers de ce que nous avons réalisé au fil des ans, en tant qu'organisation des droits de l'Homme», se félicite-t-il, faisant remarquer que cela constitue en soi un message fort. Et de revenir pour dire que les relations entre l'Europe et son voisinage méditerranéen ont connu beaucoup de changements. Et que son Réseau a bien joué le monitoring politique depuis le processus de Barcelone en 1995, mais également suite à la révision de la politique européenne de voisinage. « Mais, jusqu'à ce jour, on n'arrive pas à valoriser le potentiel des relations qu'on peut avoir avec l'UE. Notre vision à l'égard de l'Europe est si réductrice et timide qu'on ne sait pas encore ce qu'on veut d'elle», s'est-il, ainsi, rétracté. Reste qu'il y a encore du chemin à parcourir. Sauf que, conclut M. Salhi, la Tunisie devrait avoir une stratégie, une vision plus claire par rapport aux défis et enjeux de demain. Autrement dit, repenser sa coopération avec ses partenaires du nord, sur la base de négociations plus sereines.