Les désaccords n'en finissent pas et l'indépendance prend l'allure d'une arlésienne. Avocats, magistrats et gouvernement se regardent en chiens de faïence, association et syndicat tirent chacun la couverture à soi, alors que le Conseil supérieur, dont la composition avait été conclue du bout des lèvres, voit déjà ses décisions contestées Au lendemain d'une révolution dont l'un des drapeaux était l'équité, la justice, son indépendance et sa fiabilité restent des repères essentiels quant à la crédibilité du nouveau régime. Certes, le Conseil supérieur de la magistrature est une instance constitutionnelle indépendante chapeautant le «troisième pouvoir», mais tant que certaines prérogatives voient les frontières de leur exercice partagées et tant que l'autonomie financière et administrative suscite des litiges, l'édifice institutionnel restera boiteux. Face à une classique volonté des politiques d'apprivoiser la justice se dresse pourtant le mythe de son indépendance devenu le garant d'une authenticité dont la République et la démocratie ne sauraient se défaire. Ce mythe, les magistrats s'y accrochent autant que l'opinion publique, avec parfois une dose de corporatisme compréhensible, sachant que c'est à l'équilibre entre les institutions que reviendra le rôle d'arbitre majeur. En attendant, l'Association des magistrats tunisiens (AMT) poursuit ses protestations et brandit le succès de sa grève des 16, 17 et 18 octobre 2017, suivie, selon elle, à hauteur de 95%. Une grève civique, dans la mesure qu'il ne s'agissait que de retarder d'une heure les audiences dans tous les tribunaux du pays, et une grève sans lien direct avec les litiges de fond avec le pouvoir exécutif, puisqu'il s'agissait de réagir fermement suite à une agression de la part de certains avocats contre des magistrats au Tribunal foncier de Mahdia. Et l'AMT d'affirmer que la grève a été suivie «de façon exemplaire», «par les juges administratifs, judiciaires et financiers ainsi que les présidents des tribunaux et les responsables des institutions judiciaires». Manière d'affirmer la grande solidarité qui anime, aujourd'hui, le corps des magistrats dans sa lutte pour l'indépendance de la justice selon ses conditions à elle, alors que les polémiques se suivent et s'enchaînent, y compris avec les avocats et d'autres corps de justice. Mais l'Association des magistrats tunisiens poursuit résolument son «combat légitime» pour l'indépendance de la justice, cette indépendance qui «s'arrache», dit-elle, alors que d'autres voix lui rétorquent qu'elle doit être mesurée, responsable et méritée. L'AMT a ainsi décelé des dépassements qui auraient entaché le dernier mouvement des magistrats effectué par le Conseil Supérieur de la Magistrature. L'AMT estime que des fonctions auraient été attribuées à des magistrats que l'on soupçonnerait de corruption ou même, pour certains cas, qui seraient poursuivis en justice. L'AMT pointe plus spécialement du doigt certains magistrats qui seraient opposés à la liberté de manifestation et d'expression. En conclusion de quoi, le communiqué de l'AMT accuse le CSM de jeter son dévolu sur les meilleurs postes fonctionnels au détriment de l'ensemble des autres magistrats. Bref, les désaccords n'en finissent pas et l'indépendance prend l'allure d'une arlésienne. Avocats, magistrats et gouvernement se regardent en «chiens de faïence», association et syndicat tirent chacun la couverture à soi, alors que le Conseil supérieur, dont la composition avait été conclue du bout des lèvres, voit déjà ses décisions contestées.