La fuite des cerveaux tunisiens, qui émigrent sans cesse, a enregistré 2.500 départs, ces trois dernières années, mettant en péril l'avenir de l'innovation technologique tunisienne. Un cri de détresse sera lancé par les ingénieurs au gouvernement tunisien lors d'un sit-in qui sera observé devant le siège de l'Assemblée des représentants du peuple au Bardo, à Tunis. Pour s'enquérir de la situation des ingénieurs tunisiens en difficulté, La Presse a contacté par téléphone, M. Oussema El Khriji, doyen et président de l'Ordre des ingénieurs tunisiens, directeur général de l'Institut national des grandes cultures, organe sous tutelle du ministère de l'Agriculture. «On espère rassembler en ce jour entre 1.000 et 3.000 ingénieurs, qui se mobiliseront pour défendre à cor et à cri le droit à l'emploi dans les secteurs public et privé. L'augmentation des montants relatifs aux primes spécifiques sera exigée». Le manque de travail, l'accès réduit à l'emploi, les faibles opportunités d'embauches, sont des difficultés qui ont été accentuées par l'état de l'économie nationale chancelante. L'économie tunisienne n'est plus basée sur l'innovation technologique, ou sur la haute valeur ajoutée. L'ingénieur ne semble plus avoir sa place. Depuis 2010, les salaires sont en stagnation, hormis ceux relatifs aux majorations sectorielles et conventionnelles. Chômage et faibles salaires L'origine de la crise est l'augmentation continuelle du nombre d'ingénieurs, issus des universités et l'incapacité de l'Etat à résorber leur chômage. Le secteur privé n'est pas mieux loti, vu les spécificités de l'économie tunisienne et de son industrie qui ne favorisent pas l'éclosion des ingénieurs. La Tunisie compte 70.000 ingénieurs actifs, dans les domaines de l'industrie et de l'agriculture pour donner de la valeur ajoutée. 60.000 d'entre eux sont inscrits au sein de l'OIT. Les jeunes ingénieurs ont un problème d'accès à l'emploi. 5.000 ingénieurs inscrits dans les bureaux d'emploi sont déclarés chômeurs, 12.000 ingénieurs exercent dans des métiers non conformes à leurs aspirations ou équivalents à leurs diplômes. M. Khriji rajoute : «Ils en viennent à travailler dans des centres d'appel. En ne valorisant pas sa qualification ou son diplôme, au minimum de type bac+5, l'ingénieur qui devrait apporter une valeur ajoutée nationale par ses dons de création et de créativité, ne cherchera plus qu'à migrer ailleurs», faute de salaire décent dans le secteur public. Le salaire moyen d'un ingénieur se situe, en effet, entre 1.300 dinars nets, en début de carrière et 1.900 dinars en fin de carrière, soit une augmentation insignifiantes de 600 D au bout de trente ans de carrière en moyenne. Par comparaison avec un vétérinaire, fonctionnaire de l'Etat dont le seuil minimum débute à 1.600 D pour finir à 3.500 D en préretraite, soit du simple au double, le fossé est béant. Dans les secteurs public et privé, la préférence va au recrutement de techniciens plutôt qu'à celui des ingénieurs car les sociétés tunisiennes ne misent pas sur la valeur ajoutée ou l'esprit de créativité. 40% des ingénieurs agronomes passent une longue période d'attente, avant de trouver un emploi conforme à leurs aspirations. Un syndicalisme tardif L'absence de militantisme, dans l'ingéniorat, a lésé les professionnels du secteur. Le syndicat national des ingénieurs tunisiens est né, uniquement, après la révolution de 2011, soit tardivement, par rapport à d'autres corporations de métier. Cette naissance tardive a causé du tort, dans les demandes d'augmentation de la prime spécifique des ingénieurs. Quand bien même l'ordre serait ancien, datant de 1982, «Un conseil national extraordinaire de l'ordre des ingénieurs tunisiens tenu le 21 octobre dernier, avait proposé que le gouvernement se penche sur les revendications des ingénieurs. Nos revendications sont restées sans suite jusqu'à ce jour. Au cours du sit-in que nous comptons organiser, l'un des mots d'ordre sera d'attirer l'attention sur la marginalisation du corps des ingénieurs par rapport aux autres métiers. Nous nous sentons, en effet, lésés ! Un jour de colère sera, donc décrété, pour le 14 novembre 2017 devant le siège de l'ARP, place du Bardo», précise M. Khriji, signalant, par ailleurs, que l'ancien bureau exécutif n'avait pas pris ses responsabilités après la révolution.