Le rideau est tombé hier soir sur la 28e édition des Journées cinématographiques de Carthage, sous la direction du producteur Néjib Ayed. Tunis a vécu, une semaine durant, au rythme du septième art. Le bilan est mitigé... Cent quatre-vingts films ont été au total présentés dans toutes les salles de cinéma de la capitale (exception faite du Ciné Jamil) dont 51 en lice pour les compétitions officielles Courts et longs métrages Fictions et Documentaires. L'intention des organisateurs de s'ouvrir aux cinématographies d'ailleurs, notamment à travers les focus Argentine, Asie, Amérique latine, Corée du Sud, Algérie et Afrique du Sud et la section Cinéma du monde était bien claire. Celle de mettre à l'honneur le cinéma tunisien (78 opus), de donner leur chance aux jeunes réalisateurs aussi. D'intéressantes initiatives ont été par ailleurs prises comme les expositions-hommages, «JCC dans les prisons», «Ciné avenue» ou encore la décentralisation, bien que restée timide. Des films qui font tilt ? Toutefois, malgré toutes les bonnes intentions, en l'occurrence celle de revenir aux «fondamentaux» du festival et malgré toutes les promesses, la réalité du terrain s'en est trouvée tout autre. La conception de la programmation de ces JCC 2017 reste pour ainsi dire très discutable. Cinéphiles et professionnels ont malheureusement été noyés dans un trop-plein de films. Tout le monde n'a pas pu ainsi profiter d'une bonne partie des opus présentés. Beaucoup ont fait leur propre sélection et opté, surtout, pour les œuvres médiatisées. Un trop-plein de films qui a aussi affecté la qualité de la programmation. La sélection, pas très sélective, aurait certainement gagné à être écrémée. Nous n'avons pas remarqué des chefs-d'œuvre dans cette présente édition et c'est peut-être en grande partie le reflet de la réalité des cinémas du tiers-monde. Nous avons assisté à certains «bons» films, sans plus ; à des films à l'approche dilettante, aussi. Nous pensons surtout ici aux courts-métrages dont la qualité était, pour la plupart, très moyenne, contrairement aux précédentes éditions. Un discours direct et premier degré parfois digne d'un cinéma amateur. Décevants ! Une notoriété à préserver... Il ne faut pas perdre de vue que les JCC est un festival prestigieux qui a une notoriété incontestable qu'on a tout intérêt à ne pas entamer. Il ne faut pas oublier que les JCC, c'est le meilleur des cinématographies arabes et africaines en théorie. Tous les cinéastes ne peuvent donc y accéder sans garantir un niveau minimal de qualité et de maturité artistique. L'argument d'encourager les jeunes réalisateurs, bien que louable, ne doit pas avoir cours. La nomination aux JCC et la sélection pour n'importe quelle section se doivent d'être méritocratiques. Force alors est de constater qu'une bonne partie des objectifs affichés par la direction de cette édition n'a pas été atteinte. Nous sommes loin d'une «édition exceptionnelle», comme l'a promis Néjib Ayed. Bien loin. Pour une structure pérenne... Nous n'allons pas revenir ici sur les problèmes d'organisation et leurs aberrations. Nous en avons assez parlé sur ces mêmes colonnes. Mais quiconque a suivi cette édition des JCC aura remarqué la défectuosité du processus. Cela remet en surface, comme à chaque fois d'ailleurs, la problématique de l'institutionnalisation de cet événement d'envergure, comme de tous les autres festivals d'ailleurs (JTC, JMC, festival international de Carthage, etc.). L'établissement d'une administration pérenne avec un staff de compétents bien formés et diligents devient une nécessité, une exigence. Trouver la formule juridique n'est pas un problème, quitte à adopter un statut sijuneris (la France l'a fait pour l'Institut du Monde arabe par exemple). L'important c'est que la gestion des JCC soit dans la continuité et dans la durée. L'important, c'est de passer du stade de l'amateurisme, de l'approximatif, à celui de professionnalisme. Définir les responsabilités, optimiser la planification, mettre en place une politique bien ficelée avec des objectifs clairs ainsi qu'une vision prévisionnelle, le tout avec des outillages spécifiques et scientifiques, devient, à ce stade, une urgence. Mais faut-il encore en avoir les moyens financiers et humains ! D'après nos sources, la direction du festival a fait face à des difficultés budgétaires. Avec cette crise économique générale, nous ne pouvons pas demander plus à l'Etat. La seule issue possible, c'est de booster davantage le partenariat public-privé (le fameux PPP), le sponsoring et le mécénat. Le salut de ce festival n'est pas dans sa privatisation, comme le murmurent certains : l'Etat doit rester le seul garant de la culture pour tous, le seul garant du respect des fondamentaux de JCC, fixées par feu Tahar Chriâa. Revoir la copie des soirées d'ouverture et de clôture ! Quant à la programmation, c'est une science. Le management et le marketing culturels et l'événementiel (des savoirs qui s'enseignent) sont affaires de spécialistes et non d'amateurs. Le staff des JCC doit donc être formé pour. Il est vraiment temps ! Il est également temps d'avoir une conception artistique originale pour les soirées d'ouverture et de clôture, loin des tâtonnements et des remplissages. Temps aussi de fixer le protocole et les critères d'invitations. Que des starlettes d'un jour soient conviées à ces soirées alors que des artistes de renom, des hommes de culture et des personnalités médiatiques en soient écartées, est tout simplement inadmissible. Ces soirées mondaines doivent en principe regrouper la crème du «sérail» du monde cinématographique et de la scène culturelle. Malheureusement, les paillettes et le buzz ont de plus en plus tendance, dans ces dernières éditions du festival, à voiler l'essentiel, c'est-à-dire le cinéma et la création. Nous avons l'impression que les JCC virent vers une mauvaise copie d'un festival de Cannes... Le public, la star ! Comme d'habitude, le public tunisien a répondu présent pour cette 28e édition des JCC. Jeunes et moins jeunes ont fait preuve de ténacité et d'endurance en résistant aux longues files d'attente devant les billetteries et les salles de cinéma. Une attente qui pouvait durer jusqu'à deux heures et même plus, parfois sous la pluie et avec un froid de canard. Un public exceptionnel et un phénomène qui nous attirent l'envie du reste des pays arabes et africains. De quoi en être fiers, non ? Malgré tous les remous qui ont marqué ces JCC 2017, le plaisir de voir les salles de cinéma pleines à craquer, de voir des films d'ici et d'ailleurs, le plaisir des rencontres, des retrouvailles et des débats, sentir cette passion du septième art, vivre ce marathon cinématographique, n'ont de pareil égal ! En fin de compte, c'est ce qui reste... Que vive le cinéma !