Le projet de loi organique contre la discrimination raciale devrait être examiné par un conseil ministériel avant le 26 décembre prochain afin qu'il soit adopté avant la célébration de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale le 21 mars 2018. La société civile en Tunisie a toujours fait de la lutte contre la discrimination raciale son cheval de bataille. Cette lutte s'est amplifiée après la révolution pour aboutir à des appels incessants d'élaborer une nouvelle loi incriminant la discrimination. Les actes gratuits d'agression à l'encontre des étudiants africains en 2016 n'ont fait que provoquer le courroux de tous les Tunisiens à l'égard d'un comportement stigmatisant pour notre pays qui a été parmi les premiers à abolir l'esclavage en 1846 sous l'égide d'Ahmed Bey. Et c'est justement dans le cadre de l'élaboration de ce projet de loi organique contre la discrimination raciale que s'est tenue, lundi à la banlieue nord, un atelier de consultation nationale sur cette question avec la société civile en présence de Mehdi Ben Gharbia, ministre de la Relation avec les Instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l'Homme. Une occasion pour se concerter autour de ce projet de loi, qui, notons-le, figure parmi les recommandations fondamentales du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (Cerd) au sein de l'ONU, suite à l'examen du rapport présenté en mars 2009 par la Tunisie, conformément à l'article 9 de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Les critiques de la société civile L'atelier de consultation nationale fut l'occasion pour certains représentants de la société civile de mettre à nu la politique de l'Etat en matière de lutte contre la discrimination. Saadia Mosbeh, présidente de l'association M'Nemti, et figure de proue de la lutte contre le racisme en Tunisie, n'a pas mâché ses mots et s'est attaquée frontalement à cette politique. «On accuse un retard de 60 ans au niveau de la lutte contre le racisme, mettons les pieds sur terre. On a beaucoup à faire. Je ne crois pas que le texte de la nouvelle loi est bien, parlant pour les gens du Sud». On n'a jamais vu un ministre noir en Tunisie, souligne l'un des représentants de la société civile. On n'entend pas parler de la discrimination à l'égard des Tunisiens de confession juive, rétorque un autre. Même la députée à l'ARP du mouvement Ennahdha, Jemila Ksiksi, s'est montrée très critique à cet égard. La ségrégation raciale est systémique en Tunisie, lance-t-elle ! Et d'insister sur l'importance de fournir plus d'efforts dans le domaine de la lutte contre le racisme. «Pourquoi des noirs, ou des chrétiens et des juifs tunisiens ne figurent pas dans le gouvernement, se demande-t-elle. On veut une Tunisie cosmopolite qui vit dans le total respect et l'acceptation de la diversité», a-t-elle fait remarquer. Faisant allusion aux informations qui circulent présumant la vente de migrants africains en Libye, elle a qualifié ces actes de crime contre l'humanité que l'Etat doit dénoncer rigoureusement. La réplique ne s'est pas faite attendre de la part de Bochra Belhaj Hmida, présidente de la commission des libertés individuelles et de l'égalité qui a confirmé que la lutte contre la discrimination raciale n'est pas l'apanage d'une seule personne et qu'il fallait éviter la surenchère et ne pas pousser l'enthousiasme à l'excès, en évoquant ce débat qui fait l'objet d'une attention particulière depuis des années. Cette question figure parmi les priorités de l'ARP, insiste-t-elle, réfutant tout relâchement sur ce sujet. La surenchère peut être tolérée dans le domaine politique, mais non dans les affaires des droits humains, conclut-elle. L'appui du système des Nations unies Le ministre Mehdi Gharbia a rendu hommage aux représentants de la société civile et les députées qui ont travaillé sur le projet de la nouvelle loi, ainsi qu'aux victimes de la ségrégation, rappelant le fervent engagement du gouvernement dans cette lutte et les consultations en cours avec les parties prenantes visant à améliorer ledit projet de loi. Il a cité notamment les réunions ayant regroupé, dans le cadre de commissions ad hoc, des représentants des ministères de l'Intérieur, des Affaires étrangères et de l'Education supérieure pour résoudre les problèmes des étudiants étrangers en Tunisie. L'objectif est de faire passer la loi au conseil des ministres avant le 26 décembre prochain pour qu'il soit adopté avant la célébration, le 21 mars 2018, de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale. La Tunisie s'élève contre toutes formes de traite des êtres humains dans n'importe quel pays, a-t-il tenu à bien expliquer les choses , répondant ainsi à la députée d'Ennahdha. De son côté, le Coordonnateur résident du système des Nations unies en Tunisie, Diego Zorilla, a souligné l'importance de ce projet de loi qui vient compléter l'édifice établi par la Constitution tunisienne de 2014. «Il répond aux exigences de l'agenda 2030 de développement durable dont la nécessité de réduction des inégalités. Les manifestations de discrimination sont partout et ne concernent pas que la Tunisie, mais l'Etat doit jouer son rôle et établir les bases juridiques favorisant un changement au niveau du comportement», explique-t-il. C'est une question de droit, mais c'est aussi une question pertinente pour une Tunisie située en Afrique et qui se veut un pond entre l'Afrique subsaharienne et l'Europe, et elle a plein de qualité et d'opportunité pour réussir dans ce chemin, confirme-t-il. Tenir compte des recommandations onusiennes Omar Fassoui, Haut Commissariat aux Droits de l'Homme en Tunisie a rappelé durant cet atelier les observations finales du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (Cerd) au sein de l'ONU suite à l'examen du rapport présenté en mars 2009 par la Tunisie conformément à la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Le Cerd avait recommandé à notre pays de fournir dans ses rapports ultérieurs des estimations concernant la composition ethnique de sa population et l'invite à reconsidérer la situation des Amazighs à la lumière des accords internationaux, en vue de garantir aux membres de cette communauté l'exercice des droits qu'ils revendiquent. Le Cerd recommande aussi d'entreprendre des études en vue d'apprécier et d'évaluer concrètement l'existence de discrimination raciale exercée de facto par des personnes, des groupes ou des organisations et d'adopter une législation spécifique sur le délit de discrimination raciale et la propagation de la haine raciale prévoyant des sanctions proportionnelles à la gravité des infractions. Le Comité recommande, enfin, à la Tunisie de consulter largement les organisations de la société civile lors de l'élaboration du prochain rapport périodique, ce qui explique les concertations en cours entre l'Etat et les représentants de la société civile autour de la mise en œuvre d'une nouvelle loi organique contre la discrimination.