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Femmes à contre-jour
Arrêt sur image: El Jaïda de Salma Baccar à l'affiche
Publié dans La Presse de Tunisie le 26 - 11 - 2017


Par Samira DAMI
El Jaïda, dont l'action se situe dans les années 1950, clôt la trilogie cinématographique réalisée par Selma Baccar sur trois décennies et entamée en 1995 par La danse du feu (Hbiba Msika), situé dans les années trente. Cet opus est suivi de Fleur d'oubli (Khochkhach) réalisé en 2005 et se situant dans les années quarante.
A travers ces trois longs métrages, la réalisatrice a tissé sa toile en concoctant et produisant un cinéma de femme engagée au service de la condition féminine. Et si l'on remonte le temps, au milieu des années 1970, son tout premier opus Fatma 75, un docu-fiction, en hommage à des icônes féminines ayant marqué l'histoire de la Tunisie, telles Elyssa, El Kahena, Aziza Othmana et tant d'autres, on peut dire que la boucle est bouclée. Car, dorénavant, Selma Baccar se focalisera, à n'en point douter, sur d'autres destinées de «femmes actuelles» et sur la condition de la femme contemporaine.
El Jaïda, coécrit par Wajiha Jendoubi et coproduit par Abdelaziz Ben Mlouka (CTV), dont l'action se déroule précisément, entre 1954 et 1955, met en scène les destins croisés de quatre femmes qui se retrouvent incarcérées à «Dar Joued». Une sorte de maison de correction ayant existé, à travers plusieurs régions du pays, depuis la fin du XVIe siècle.
«Le tort» ou le «forfait» de ces femmes punies et châtiées n'est autre que la rébellion contre l'ordre conjugal et social établi. Quatre personnages, féminins racontés «à contre-jour» Béhija, alias Bahja (Wajiha Jendoubi), Leïla (Souhir Amara), Hssaïna (Salma Mahjoub), Amel (Najoua Zouhaïr) et d'autres, sont jetés dans ce sinistre endroit parce qu'elles ont refusé d'obtempérer aux diktats d'un époux infidèle, d'un mari impuissant, ou d'une belle-mère et d'un oncle «gardiens» des traditions asservissant les femmes. Ces «broyeurs» de rebelles n'ayant qu'un seul souci : empêcher toute velléité d'indépendance et de liberté afin de maintenir le statu quo et de sauvegarder le système patriarcal.
«Dar Joued» : le huis clos
Dès l'ouverture du film, le ton est donné : des plans rapprochés où la caméra descend sur de longues jambes et des pieds nus (plans récurrents dans le cinéma de Salma Baccar) de deux femmes dont les pas silencieux et fureteurs les mèneront chacune vers une destinée différente. Le chassé-croisé de personnages féminins écrasés par les pesanteurs sociales se déclenche. Bahja, femme moderne et éduquée, éprise de lecture, appartenant à un haut niveau social, découvre que son mari «Si» Taïeb Bechaouch (Khaled Houissa) la trompe avec sa propre sœur, Khédija. Une jeune et jolie veuve habitant avec le couple. Le choc en est donc d'autant plus dévastateur pour Bahja qui n'est pas prête à pardonner à son époux volage malgré les multiples tentatives de réconciliation qu'il opère.
Mais «Si» Taïeb pourtant médecin de son état (se peut-il ?) ne comprend pas l'obstination de son épouse tant il la considère comme «son objet», sa «chose», sa propriété personnelle, n'hésitant pas à la violer... Le viol conjugal commis, Bahja n'est pas du tout au bout de ses peines.
Traînée devant le tribunal charaïque où le «Qâdhi» (Jamel Madani) épaulé par deux juges, l'un de rite malékite et l'autre de rite hanafite, condamne toujours ce genre de femmes rebelles, à «la langue pendue», à passer une période indéterminée à «Dar Joued».
Bahja n'a pas su se défendre et reçoit quasi passivement le jugement tant le poids de l'injustice sociale, épaulée et soutenue par la justice théocratique, était écrasant et accablant pour l'individu.
Le ballet des carrosses emmenant les condamnées à être corrigées dans cette sinistre maison d'arrêt commence... Car après Bahja, ce sera au tour de Leïla (Souhir Amara) de subir le rituel du carrosse qui la jettera à «Dar Joued». Personnage le plus tragique, en fait, Leïla, jeune femme appétissante et avide d'amour et de sens, est victime d'un mariage arrangé par ses parents avec un vieil impuissant (Taoufik Ayeb) qui l'accuse d'infidélité.
Hssaïna (Salma Mahjoub), une jeune élève, issue de la bourgeoisie tunisoise, connaîtra le même sort. Amoureuse de grands auteurs et poètes de la littérature française (Flaubert, Baudelaire et d'autres) elle l'est aussi de Othman (Bilal Béji), un jeune Keffois militant contre la colonisation. Mais l'oncle de Hssaïna (Raouf Ben Amor), hautain et méprisant à l'égard de tous ceux qui viennent d'autres régions du pays (la périphérie), voit d'un très mauvais œil cette relation et décide, toujours avec la complicité du même Qâdhi, de l'incarcérer à «Dar Joued» en lui assurant, cependant, tout le confort nécessaire. Les différences sociales et de classe se manifestent même en «prison».
Mais fait étrange, certaines prisonnières viennent de leur propre gré à «Dar Joued», tel Amel (Najoua Zouheir) qui fuit l'enfer de la promiscuité avec sa belle-mère qui lui rend la vie impossible parce qu'elle n'a mis au monde que des filles. Pourtant, son mari (Ahmed Hafiane) n'a pour elle et pour ses deux filles qu'amour et tendresse.
Pas de manichéisme, donc, dans El Jaïda, les personnages masculins n'étant pas tous des «machos» autoritaires et dominateurs.
Bref, tous ces personnages féminins et d'autres tel Fitna (Mounira Zakraoui) acariâtre et brutale, prête à semer la discorde et la bagarre, subissent les punitions, pénitences et sentences cruelles d'El Jeïda (Fatma Ben Saïdane).
Gardienne de ce lugubre «temple» de la mort, elle règne impitoyablement sur «ses pensionnaires», malgré l'attitude conciliante du premier responsable de cette maison d'arrêt (Abdellatif Kheïreddine), c'est que les femmes sont tout aussi instrumentalisées afin de perpétuer et sauvegarder l'ordre établi. Mais El Jeïda est un personnage nuancé car ressentant, au fond, de la compassion à l'égard de «ses» détenues : pour Bahja, par exemple, un personnage moteur qui, grâce à son éducation moderne, résiste, aspire à la liberté et à l'émancipation, se confondant, presque, avec le pays.
Consciente de l'enjeu de l'indépendance et de la liberté du pays, Bahja entraînera grâce à sa perspicacité et sa sagesse toutes les codétenues dans son sillage en valorisant l'affection, l'amitié, l'entraide et la solidarité. Cette énergie positive entre toutes ces femmes en souffrances naît pourtant dans une prison, un espace clos, Dar Joued, dont «la mission» est de ramener ces femmes rebelles «sur le droit chemin» afin qu'elles soient maintenues dans la soumission et d'empêcher, ainsi, toute velléité de révolte et de changement pouvant parasiter le pouvoir des mâles dominants.
Enfermement et étouffement
Dans cet espace d'incarcération et d'étouffement rétif au vent de changement qui souffle sur le pays, les prisonnières s'agitent, se bagarent violemment, s'invectivent, se tuent à la tâche, souffrent, pleurent, rient aussi, mais luttent surtout en finissant par s'unir, malgré les différences de classe sociale afin de forcer le destin. Car dans ce huis clos, (le dedans) existe une ouverture (haute fenêtre) sur le monde extérieur (le dehors), soit la lumière et l'espoir de lendemains meilleurs...
Et c'est grâce à une ellipse et au recours à des effets spéciaux que les principaux protagonistes (Bahja, Othman, Hssaïna et sa tante) vivront, enfin, l'aube de l'Indépendance et de l'émancipation de la femme cristallisée par le retour triomphal de Bourguiba, séquence filmée en noir et blanc.
Mais avec la promulgation du CSP (Code du statut personnel), les droits de la femme sont-ils à jamais assurés ? La réalisatrice en doute, puisqu'elle laisse entrevoir ses appréhensions dans une sorte d'épilogue où on voit la petite fille de Bahja, défendre bec et ongles, dans une intervention à l'ANC (Assemblée nationale constituante) en tant que constituante, la nécessité de sauvegarder les droits et acquis de la femme ainsi que le modèle social moderniste instauré par Bourguiba.
C'est dans un souci de vigilance que Selma Baccar, par ailleurs militante politique au Parti «Al Massar» et ancienne constituante, a décidé de clore son film par cette scène. Car, ayant, dans les années 2012-2013, mesuré la menace réelle de la remise en cause des droits et acquis de la femme, de la part notamment de certains esprits obscurantistes et rétrogrades qui ont appelé à l'application de la «Charia» et au retour à des temps ténébreux.
Ainsi, entre cinéma politique (L'épilogue) s'accommodant du discours direct, un parti pris pleinement assumé, et même revendiqué, selon la réalisatrice, et cinéma humain, se déroule El Jaïda. Qui s'avère, également, un film sur la mémoire et contre l'oubli de l'obscur vécu d'anciennes générations de femmes ayant souffert corps et âme car démunies de tout droit et de toute dignité.
Entre scènes d'action et scènes intimistes, El Jaïda déroule une panoplie de moments et de sentiments entre détresse et souffrance, joie et tendresse, rires et larmes, désespoir et espoir dont notamment cette scène tragique et touchante focalisée sur le geste fatal de Leïla. L'interprétation des actrices et des acteurs est marquée par la justesse du jeu, dans l'ensemble assez sobre, et par une unité de style découlant d'une direction d'acteur réfléchie et homogène. Une mention à Souhir Amara (Leïla) pour son jeu à double niveau, entre le tragi-comique et à Fatma Ben Saïdane (El Jaïda) dans un rôle à contre-emploi. L'actrice ayant rendu avec sagacité la tendresse et le cœur fondant qui se cachent sous la carapace d'acier du personnage qu'elle campe.
De son côté, Khaled Houissa a interprété, dans l'ensemble, avec retenue le rôle du «mâle» présomptueux, oppresseur et violent.
Enfin, outre le jeu, les décors, les costumes (Rahma Béjaoui), l'image (Mohamed Maghraoui), l'éloquente musique de Rabii Zemmouri confèrent à El Jaïda l'essence et l'atmosphère d'une époque dénoncée en raison de tant d'injustice contre les femmes, par Selma Baccar. Epoque que nous espérons à jamais révolue.


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