Par Abdelhamid Gmati En juin 2011, « Dégage » a été élu « mot de l'année » par un jury français au Festival du mot 2011. Ce mot avait été brandi comme un étendard de la Révolution tunisienne. Il a été utilisé dans d'autres pays arabes et européens. Aujourd'hui, 7 ans après la révolution, un autre mot semble avoir rempli l'espace. Cela a commencé très tôt, pour la bonne cause : du 16 décembre 2010 au 12 janvier 2011, l'Ugtt organise des grèves générales dans plusieurs villes (Sfax, Kairouan) et appelle à une grève générale à Tunis pour le 14 janvier 2011. Et depuis cette date, les grèves se sont multipliées, touchant tous les secteurs. On relève même une grève des commerçants de l'artisanat de la Médina de Tunis, annoncée pour le lundi 17 octobre 2011, pour exprimer leur mécontentement quant à la « situation catastrophique » de leurs commerces. Au total, on a compté 2.366 grèves en 2011. Cela était considéré comme une suite logique de la Révolution, les revendications étant nombreuses et dans tous les secteurs. Le résultat est que l'indicateur de productivité a chuté à un niveau jamais atteint dans le pays, en raison des grèves, sit-in et autres demandes sociales. Sans compter les fermetures d'entreprises et la hausse du chômage. Mais le mouvement ne s'est pas estompé et les grèves ont continué durant ces dernières années. Au point qu'en 2014, un collectif de citoyens tunisiens créait une page sur Facebook « Yezzi mel grève ». Ils ont constaté que les revendications syndicales et professionnelles se sont multipliées, avec une augmentation de près de 4% du nombre de grèves durant les cinq premiers mois de 2014. Ces grèves, qui ont touché 155 entreprises et dont 76 (sur 220), ont été considérées comme illégales, ont augmenté de 36% le nombre des journées de travail perdues par rapport à la même période en 2013. Ces citoyens ont voulu dénoncer, « non pas le droit de grève, garanti par la Constitution, mais le caractère parfois abusif de certaines d'entre elles ». Ils déclarent vouloir insister sur « la manière avec laquelle ce droit, censé protéger les travailleurs, leur permettre de défendre leurs acquis et en revendiquer d'autres légitimes, est travesti (violences, non-respect du cadre légal, etc.). Nous avons ressenti le besoin de rassembler les citoyens qui, comme nous, commencent à en avoir ras-le-bol face à ce manque de civisme et de responsabilité qu'on veut nous imposer au quotidien ». Ils ne semblent pas avoir été entendus. Un rapport du Forum pour les droits économiques et sociaux signale une recrudescence du nombre des contestations sociales qui passent de 6.493 en 2016 à 7.941 durant la même période avec un pic significatif lors du mois de mai 2017. Et la direction générale de l'inspection du travail et de la réconciliation a annoncé que, durant les trois premiers mois de 2017, 46 grèves de travail ont été enregistrées. Elles ont concerné 40 entreprises dans le secteur privé dont une vingtaine de sociétés sont étrangères. Et cela continue. Ces derniers jours, les Tunisiens en ont subi des grèves. Il y en a une annoncée dans l'enseignement, ce 6 décembre. Une autre de 5 jours à partir du 4 décembre est prévue par les syndicats de base des finances du Grand Tunis. Mais là, l'Ugtt s'est désengagée de cette grève. «Cette grève n'a pas été décidée par l'autorité compétente et par conséquent n'engagera pas l'Ugtt», lit-on dans un communiqué, qui relève que le dialogue, pour une série des revendications engageant le secteur, est en cours et peut se conclure par la positive. Les négociations avec l'autorité de tutelle sont en cours concernant un ensemble de revendications de ce secteur, indique la même source, ajoutant qu'elles ont enregistré un avancement puisque l'article 63 a été retiré. C'est que la centrale syndicale a jugé positive la réunion de quatre heures tenue lundi dernier avec le gouvernement. Mais il semble que, depuis quelque temps déjà, la centrale est dépassée par sa base, notamment les fédérations. Exemple : alors que l'Ugtt a donné son accord sur le recul de l'âge de départ à la retraite, la fédération de l'enseignement l'a rejeté. Mais il n'y a pas que les syndicats qui ont mis la grève à l'honneur. L'Utica a, aussi, emprunté cette méthode pour imposer ses revendications. Sa présidente avait menacé, il y a quelques jours, d'une grève générale. Et on vient de le constater avec cette grève des boulangers qui a privé de pain les Tunisiens. Et la chambre syndicale nationale des distributeurs grossistes de gaz domestique relevant de l'Utica a envisagé de suspendre les activités des distributeurs de bouteilles de gaz pendant 3 jours du 30 novembre au 2 décembre. Bien d'autres corporations ont mis la grève à l'honneur. Et c'est le citoyen qui subit, souvent sans comprendre les raisons de ces arrêts de travail. On est tenté de mettre, aussi, la grève à l'honneur, en brandissant le slogan « Yezzi mel grève ».