On constate un dérèglement notable de la règle de l'offre (normale) et de la demande, et entre la valeur réelle d'un joueur et son prix de «vente». C'est ce que nous vivrons dans les prochaines semaines. Depuis des semaines déjà (nous pouvons dire aussi des années), il n'y en a que pour «le mercato». Cela intéresse bien évidemment le football professionnel et les mouvements des joueurs. Le football amateur, cantonné dans une zone aux contours aussi sombres que mal définis, vivote et survit grâce à quelques subsides et au courage de ses dirigeants. C'est, à la longue, un fossé qui s'élargit de plus en plus et qui portera assurément préjudice au football amateur et donc à l'enrichissement et au renouvellement de la base. A côté, le «professionnalisme» affiche son arrogante assurance en faisant voltiger les sommes de plus en plus importantes, auxquelles sont estimés les joueurs. Ces informations sont reprises, enflées souvent de manière perverse et, bien entendu, font de cette bulle (où les spéculations vont bon train) un monde à part où tous les débordements sont permis. Les Anglais ont pris les devants et ont procédé au raccourcissement de leur période de mercato, estimant que les clubs sont dans l'obligation de revoir toute leur stratégie alors que la compétition est lancée depuis des mois. Aleksander Cerefin, le président de l'Uefa, avait déclaré, anticipant l'annonce de la Premier League, que «ce n'est pas une bonne chose qu'un joueur commence un championnat dans un club et joue ailleurs quand le mercato s'est refermé. Il y a une longue incertitude qui s'installe. En conséquence, je dirai que la fenêtre est trop longue et je suis pour qu'elle soit raccourcie». Des effets pervers Ceux qui sont pour les deux périodes estiment qu'engagés dans des compétitions africaines nos clubs doivent avoir la possibilité de se renforcer en fonction des résultats des premiers mois de compétition. Ceux qui prônent une seule période font valoir qu'avec des joueurs sachant qu'ils sont sur le départ, il n'y a rien à tirer. D'autre part, alors qu'une équipe a déjà compris son fond de jeu et la stratégie de son encadrement technique, tout sera à refaire. N'empêche, ce «mercato», tout le monde l'attend et personne ne sait ce qu'il en fera ou ce qu'on en fera. La passion dépasse de loin les moyens. Les ambitions enflamment les cerveaux déjà fortement embués par des conditions administratives, financières et humaines particulièrement défavorables. Alors, si ces conditions extrêmement importantes ne sont pas assurées, à quoi sert ce fameux mercato ? Tout d'abord et avant d'entamer ce «marché» il faudrait se poser bien des questions. La principale et surtout celle qui devrait dominer le reste de toute l'opération, que les clubs engageront avec plus ou moins de ferveur, est relative au pouvoir d'achat des uns et des autres. Lorsque l'on entend, à quelques semaines d'intervalle, un président de club pleurer misère, et menacer de démissionner parce qu'il est à court de fluidité, et que sans... vergogne il se positionne pour nous expliquer qu'il se propose de renforcer son effectif à l'issue de ce «mercato», nous ne pouvons que nous poser des questions. Par quels moyens honorera-t-il ses futurs engagements financiers ? D'où amènera-t-il l'argent et comment pourra-t-il s'en tirer pour finir la saison si au bout d'un trimestre il s'était retrouvé avec des caisses vides, des joueurs en grève et une situation de trésorerie qui met à mal la crédibilité du club ? Surprenante tendance Cette tendance, malheureusement encouragée par ceux qui sont censés veiller à la viabilité des clubs, est surprenante. Elle dénote un manque de discernement qui finira par perdre le club et qui risque à plus ou moins longue échéance de le mettre en danger. Tous les observateurs avertis ont relevé ce comportement... suicidaire, mais nous constatons, à l'ouverture de ces périodes de transfert, cette fièvre qui s'empare de presque toutes les parties prenantes. Les garde-fous peu respectés ou pas du tout, c'est une véritable foire d'empoigne qui, à son terme, nous offrira un décor cauchemardesque : des joueurs achetés au prix fort, ne seront pas ou presque pas utilisés, des dirigeants qui ploient sous le poids des dettes, des clubs exsangues devant lesquels les portes se ferment et bien sûr des supporters qui n'ont rien compris parce que subjugués par les promesses, demandent maladroitement des comptes. C'est qu'au lieu d'agir dans l'intérêt de leurs clubs et de punir les dirigeants par leur incapacité, ils sortent dans la rue ou enflamment les tribunes, offrent un visage qui n'a absolument rein à voir avec le sport. Détermination des besoins Des litiges qui opposent encore des joueurs achetés à des prix hors normes, au vu de leur âge et de leurs performances, n'ont pas encore été réglés et aussi bien les organes de la FTF que ceux de la Fifa brandissent les menaces pour qu'ils soient définitivement apurés. Ces litiges se sont traduits par des milliards (le plus souvent en devises) que les clubs sont obligés de payer pour ces chômeurs de luxe, protégés par des contrats en béton et que les instances sportives accréditées se feront fort de régler quelles que soient les conséquences. Ces joueurs, ne lâcheront rien et seuls quelques-uns acceptent en définitive de se laisser tenter par un arrangement qui mettra un terme à leur affaire. Mais, au terme de ces litiges, il y a une question qui se pose et à laquelle devraient répondre ces dirigeants qui ont pris le risque d'engager leurs clubs dans ces mauvaises affaires. Celui qui a «conseillé» l'acquisition de ces joueurs, éternels remplaçants, on ne le connaîtra jamais. Il continuera à hanter les couloirs des clubs et à «travailler», servi par un bagout inimitable et parfois une ancienne carrière sportive, pour que son «poulain» affiche la meilleure des cartes de visite. C'est dire que dans bien des cas, c'est le flou total et l'absence de logique qui prédominent. Les entraîneurs, quel rôle ? Si nous prenons l'exemple des grands clubs de ce monde, nous remarquons qu'un joueur est suivi durant des années. Ils le prennent parfois au berceau et rien n'échappe à ces recruteurs professionnels qui ont la commande en main et ne proposent que sur demande d'un club qui aurait délimité, avec le concours de l'entraîneur en charge et une exactitude chirurgicale, les besoins. Avant d'entamer cette action, on aura au préalable consulté ceux qui veillent sur les destinées techniques du club pour se rendre compte si un jeune du centre de formation ne répondrait pas à ces critères, pour éviter les doublons ou des dépenses inutiles. Le cas de Lyon en France, de l'Ajax en Hollande, d'Auxerre du temps de Guy Roux, etc. Cette acquisition est le plus souvent immédiatement utilisable, dans l'antichambre, ou prêtée pour s'affermir en profitant d'un temps de jeu à même de l'endurcir et de lui faire acquérir le rythme et la combativité requis. Entre arnaque et panique Pour les Anglais ce «mercato» hivernal est appelé le bargain market (marché de l'arnaque) et le panic market (marché en panique). Et ils ont raison. Une fois qu'un club a annoncé ses besoins, après une phase «aller», l'information installe sur le «marché» des transferts une ambiance des plus perverses. Le club, qui a des joueurs à vendre, fait monter ses prix, sachant qu'en face on achètera à ses conditions et celui qui est dans l'obligation de vendre pour survivre ne ratera jamais l'occasion de faire monter les enchères. D'où un dérèglement notable de la règle de l'offre (normale) et de la demande, et entre la valeur réelle d'un joueur et son prix de «vente». C'est ce que nous vivrons dans les prochaines semaines.