L'Observatoire social tunisien enregistre une moyenne de 40 actes de suicide par mois, dont quatre enfants La conférence de presse organisée, hier, par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) à Tunis a permis d'éclairer l'opinion publique sur la courbe relative aux mouvements de protestation sociale et de revendications portant sur le développement propres au dernier trimestre de l'année 2017. Une courbe variable avec, néanmoins, des constances devenues référentielles et des caractéristiques bien définies qui traduit la persistance quasi chronique des problèmes socioéconomiques qu'endurent les régions de l'intérieur et les catégories vulnérables, maintenues en dehors du circuit développemental. M. Massaoud Romdhani, membre-fondateur du Ftdes, a souligné l'intérêt perpétuellement renouvelé de faire le point sur les différentes protestations et revendications sociales. Les rapports mensuels du Ftdes sont publiés dans l'optique d'éclairer l'opinion publique mais aussi les politiciens et membres du gouvernement sur lesdits problèmes et faire le zoom sur la position de la société tunisienne par rapport aux mesures prises. «Nous avons publié, en septembre 2017, un communiqué afin d'avertir le gouvernement sur l'indispensable révision de la politique économique, laquelle évolue au détriment des catégories vulnérables, mais en vain», a-t-il rappelé. Gare à l'abandon scolaire ! Soutenant toute action de protestation pacifique, dont à titre indicatif les actions de protestation menées par les habitants de Thala, le 14 janvier 2018, le Ftdes s'indigne, toutefois, d'observer d'innombrables actes d'arrestation à l'encontre des protestants. «Le représentant du ministère de l'Intérieur avait déclaré que la majorité écrasante des protestants comptait des mineurs. Ce qui nous amène à nous interroger sur les causes directes et indirectes de cette réalité. Nous avons à maintes reprises, poursuit-il, attiré l'attention sur les répercussions fâcheuses de l'augmentation du taux d'abandon scolaire. Chaque année, quelque 100 mille élèves quittent l'école, soit quelque 700 mille mineurs en sept ans. Ces jeunes sont écartés de la vie collective et sociale. Faute de perspectives et d'encadrement, ils se sont adonnés aux actes de violence ». Etre à l'écoute du peuple... M. Romdhani a indiqué, par ailleurs, que la grogne sociale, pourtant prévisible, ne revient pas uniquement à l'opposition des Tunisiens quant à l'adoption de la loi de finances 2018. Cette dernière n'est autre qu'un problème parmi tant d'autres, tout aussi menaçant pour la paix sociale. Le droit à la dignité, à l'emploi, à l'autonomie, à la justice sociale et au développement demeure étouffé, mis en sourdine. « Le gouvernement doit être à l'écoute des jeunes qui représentent 25% de la population. Il doit aussi être attentif aux messages et aux recommandations émis par la société civile», a-t-il recommandé. Et d'ajouter qu'accoler tout mouvement de protestation ou de revendication sociale à l'esprit comploteur risque de ressusciter les manœuvres décalées de l'ancien régime. 40 suicides par mois Prenant la parole à son tour, M. Abdessattar Sahbani, sociologue et président de l'Observatoire social tunisien (OST), a récapitulé les résultats de l'observance sociale relative au troisième trimestre de l'année 2017. La régression des mouvements de protestation sociale, enregistrée en été, avait anticipé sur une reprise éminente au dernier trimestre de l'année. Des protestations dont les plus significatives touchent les quatre régions les moins favorisées, à savoir Kairouan, Gafsa, Sidi Bouzid et Kasserine. Le sociologue a indiqué que le dernier trimestre de l'année 2017 a été marqué par l'augmentation quantitative des mouvements de protestation individuelle, notamment les grèves de la faim, la dénonciation à travers les médias et des lettres adressées aux parties concernées. «Les suicides et tentatives de suicide collectives ont connu un certain recul durant les mois d'octobre et de novembre pour reprendre de plus belle en décembre. La courbe suicidaire a changé pour toucher toutes les régions, sans exception. La moyenne des cas de suicide accomplis se situe aux alentours de 40 par mois», a-t-il expliqué. Dans les rapports mensuels relatifs aux mois d'octobre, novembre et décembre 2017, l'on note 44 cas de suicide et de tentatives de suicide enregistrés en octobre, dont 36% sont des jeunes âgés de 16 à 25 ans. En novembre, les cas de suicide et de tentatives de suicide étaient au nombre de 61. En décembre, l'on compte 60 cas dont 48% d'hommes. L'orateur a précisé que les tranches d'âge les plus concernées par cet acte individuel de protestation sont celles situées entre 25 et 35 ans et entre 35 et 45 ans. «Le suicide des enfants doit être pris au sérieux avec notamment une moyenne de 4 cas par mois», a-t-il souligné. S'agissant des mouvements de protestation collective, M. Sahbani a indiqué que les mois d'octobre et de novembre ont été marqués par des mouvements axés sur le secteur éducatif, et plus exactement sur la problématique liée aux examens. L'on note en octobre jusqu'à 1.243 mouvements de protestation collective et 1.036 autres, en novembre. En décembre, ils étaient au nombre de 857 et étaient essentiellement focalisés sur des idéologies politiques internationales, suite notamment à la déclaration du président Trump reconnaissant Al-Qods comme capitale d'Israël. Durant tout le trimestre, des protestations sociales ont été axées sur le secteur administratif, lequel symbolise, pour la plupart des Tunisiens, l'Etat. Anticipant sur le rapport du Ftdes sur les mouvements relatifs au mois de janvier 2018, le sociologue a montré du doigt l'impertinence du discours politique et la focalisation décalée sur des problématiques secondaires, alors que la situation oblige un traitement de fond des problèmes de développement.