La dépréciation du dinar tunisien constitue à l'heure actuelle l'une des problématiques majeures auxquelles fait face le gouvernement. Une dépréciation qui reflète les maux dont souffre l'économie tunisienne. Avec la poursuite du déficit courant, du déficit budgétaire et du déficit commercial, l'ajustement des principaux agrégats économiques devient un must pour retrouver l'équilibre. Mais cette tâche n'est pas assez facile et n'est pas du ressort du gouvernement tout seul mais de tous les opérateurs économiques qui doivent œuvrer pour mobiliser plus d'investissement, pour booster les exportations et redonner confiance en la capacité de l'économie tunisienne à dépasser cette dure épreuve. La dépréciation du dinar n'est que la résultante de ces difficultés et de politiques économiques instables qui ont caractérisé ces sept dernières années L'Institut tunisien des études stratégiques (Ites), la Fondation allemande Konrad-Adenauer-Stiftung ont consacré toute une journée pour débattre de cette problématique, qu'ils ont qualifiée de crise du dinar tunisien. S'échangeant à 3 dinars contre 1 euro, notre monnaie nationale se trouve dans une situation critique, avec des analyses de part et d'autre sur son incidence sur l'économie nationale et ses perspectives sur le court, moyen et long terme. Pour Néji Jalloul, président de l'Ites, cette crise de l'économie tunisienne en général comprend plusieurs facettes. Il s'agit d'une crise culturelle, avec un manque de la culture du travail et de la productivité ; une crise politique caractérisée par les discours électoralistes et les calculs politiques et une crise de gouvernance puisque la situation actuelle est le cumul des différents gouvernements qui se sont succédé depuis 2011. « Il y a eu une irresponsabilité politique envers ce dossier. Le diagnostic est connu, il faut trouver maintenant des solutions et prendre des mesures qui sont difficiles et douloureuses mais nécessaires : contrôler les importations, réduire les impôts, réduire les dépenses publiques, booster l'investissement local et autres », affirme-t-il. Effet stimulant Mais pour Ahmed Tarchi, représentant de la Banque centrale de Tunisie (BCT), le terme « crise » n'est pas approprié à la situation de dépréciation du dinar. Il a indiqué que d'autres pays comme les Etats-Unis ont profité de la dépréciation du dollar face à l'euro pour réaliser la reprise de leur économie. Il a ajouté qu'une bonne partie de la baisse du dinar face à l'euro découle de la hausse de ce dernier face à toutes les monnaies dans le monde. M. Tarchi affirme qu'actuellement, l'euro s'est envolé de 4% vis-à-vis du dollar américain, sans provoquer le moindre émoi outre-Atlantique, soulignant qu'il est considéré comme un stimulant précieux pour les exportations américaines et la réduction du déficit commercial est devenu un objectif prioritaire pour l'administration américaine. « La Tunisie est le seul pays au monde qui boude la dépréciation de sa monnaie. C'est le comble pour un pays qui a basé son modèle de développement sur la promotion des exportations avec une politique de taux de change souvent marqué par la dépréciation compétitive. A ce titre, au cours des années précédant la révolution, le dinar s'est déprécié de 33% dans un contexte de stabilité politique, économique et sociale », précise-t-il. Le représentant de la BCT souligne que les dérapages des déficits jumeaux (budgétaire et de la balance des paiements) ont provoqué des effets déstabilisants qui s'autoalimentent, en l'occurrence l'assèchement en liquidités et en dinars, la pression sur les réserves en devises et le recours aux ressources extérieures. Il a affirmé que la poursuite de cette spirale néfaste érode de plus en plus les marges de manœuvre de la politique économique, au risque de les voir rapidement atteindre leurs limites. En conséquence, le taux de change du dinar a subi le contrecoup de la dégradation des indicateurs économiques, en particulier le creusement du déficit de la balance commerciale courante. A ce niveau, il a indiqué que le déficit au titre de l'énergie et des produits alimentaires seulement s'est situé à 5 milliards de dinars en 2017, ce qui a provoqué un choc sur le marché des changes. M. Tarchi a affirmé, ainsi, que les actions prioritaires à entamer pour pallier les déséquilibres économiques et financiers concernent le redressement de la productivité de l'économie tunisienne à travers le travail, le capital et la technologie, la définition de manière claire d'une politique sectorielle, assurant la diversification de la base des exportations et renforçant l'industrie manufacturière et toute activité innovante et atténuant les importations. De même, il est important de redéfinir le mode de gouvernance des entreprises publiques sur la base d'un modèle de performance et la maîtrise de la consommation grandissante et à première vue incompréhensible de l'énergie. Il s'agit également, selon lui, de réviser la politique commerciale, y compris celle relative à la franchise et veiller à la répression de la contrebande et du marché parallèle à travers l'application stricte de la loi. Stabiliser le dinar De son côté, Nabil Chahdoura, membre fondateur du comité stratégique du cercle des financiers tunisiens, estime qu'il faut toujours rester inquiet face à la dépréciation du dinar, puisqu'elle a un impact sur l'inflation importée. De plus, il faudrait être très inquiet face au niveau des réserves en devises, qui n'est pas confortable. Il a signalé que toute action ne devrait pas toucher au dinar parce qu'il n'est que le miroir de l'économie tunisienne, appelant à s'attaquer aux paramètres et agrégats économiques qui ont provoqué sa dépréciation. « Pour le moment, il va falloir le stabiliser. Nous avons déjà vu les réactions sociales face à la loi de finances 2018. Nous ne pouvons pas attirer l'investissement étranger dans une situation instable. Il faut travailler sur les canaux d'amélioration de l'épargne nationale et de l'attractivité pour les fonds étrangers et aussi pour une meilleure gestion et une bonne gouvernance de l'administration publique en termes de dépenses de fonctionnement et de services », lance-t-il. Concernant le rôle de la BCT, il a affirmé qu'elle n'est pas responsable de cette situation, puisqu'elle joue le rôle de l'équilibriste entre la tendance inflationniste et la volonté de garder une certaine compétitivité du dinar pour assurer un niveau de réserves intéressant, soulignant qu'il est important de garder un glissement dosé et contrôlé du dinar pour donner le temps aux principaux agrégats économiques de s'améliorer. Au niveau de l'endettement extérieur, M. Chahdoura a indiqué que les deux tiers de cet endettement sont en devises étrangères, d'où l'impact du glissement du dinar, ajoutant que le gouvernement devrait rebalancer cette structure. A défaut d'une épargne nationale suffisante, il faudrait trouver le mécanisme pour pouvoir attirer la masse monétaire présente dans le marché informel et aussi trouver les outils qui encouragent le Tunisien à baisser sa consommation, « l'épargne a baissé de 22% à 10%. Ce n'est pas un bon indicateur pour l'épargne et l'investissement local aussi. Actuellement, l'Etat devrait commencer à laisser aller quelques actifs non stratégiques pour créer la liquidité en dinars ou en devises et pour pouvoir payer une partie de la dette et minimiser son niveau d'endettement en devises et améliorer sa capacité d'endettement local », explique-t-il.