La politique d'aménagement urbain mise en œuvre dans les villes et cités a abouti à un tissu urbain sans caractère Le cachet propre des villes tunisiennes a disparu au profit de constructions anarchiques jamais terminées, de trottoirs défoncés et de chaussées marquées par des nids-de-poule et des dos d'âne hauts comme des montagnes. Un état névralgique de laisser-aller caractérise donc nos villes, même la capitale n'est pas épargnée malgré certains monuments architecturaux de qualité. Brassage, mélange des genres, la capitale se métamorphose et perd évidemment, en traversant les siècles de ces transferts sociaux accélérés, un peu beaucoup de sa prestance et hélas se paupérise. Que retenir de cette mutation architecturale ? Vu d'en haut, des terrains d'aiguilles et des paraboles et d'en bas des emmêlements de câbles et de conduites, des amas de détritus. De plus près, des édifices abandonnés menaçant ruine dont les murs sont gangrénés par les moisissures. On laisse périr par non-assistance à immeuble en danger. La banalisation est en œuvre depuis déjà des années : les commerces versent dans la pacotille à quat' sous et le tape-à-l'œil. Les façades sont éventrées pour une soi-disant meilleure fonctionnalité. Verre et aluminium recouvrent les murs mais après quelque temps par manque d'entretien, ils tombent en désuétude. L'harmonie ambiante d'autrefois est remplacée par des incongruités sans goût ni forme. Les architectes sont-ils responsables de telles laideurs ? Qui pourrait canaliser de tels débordements qui polluent la capitale, encouragés par des municipalités totalement dépassées? Quelles mesures prendre face à des tiers qui ont le droit de valoriser leurs biens comme ils l'entendent? Les nouveaux vandales sont sans scrupules et faute de culture, veulent dénaturer et détruire. Où sont les sculptures et les arabesques réalisées dans les années 60/70 par de grands artistes-plasticiens comme Ammar Farhat, Hechmi Marzouk ou Abdelaziz Gorgi qui embellissaient les façades des bâtiments publics et même privés ? Outre l'utile et le fonctionnel, la ville est un champ de signes et de symboles culturels parce que les murs n'emprisonnent pas mais restent ouverts à l'art, la beauté et la création. Bien sûr, il y a eu de récentes tentatives d'embellissement de certaines structures d'ouvrages comme les ponts avec des graffitis, c'est bien mais cela reste insuffisant. La ville devrait révéler la richesse et la portée historiques d'une société qui a connu des événements fondateurs éclairant des lieux d'émotion, d'identité, de valeur et d'appartenance à une histoire commune. Certains quartiers historiques de la ville sont défigurés. Non-respect des règles d'urbanisme L'échec n'est pas qu'architectural, il prend d'autres dimensions entre autres politiques qui se déploient dans la construction d'immeubles sans âme qui ne prédisposent pas au vivre- ensemble, qui est la première mission d'une ville. Tunis a étendu ses tentacules sur d'autres quartiers bâtis sur des terrains vagues, ceux qu'on appelait la « ceinture rouge », où vit dans la promiscuité une communauté humaine issue du mouvement d'exode rural qui ne peut s'identifier avec les nouveaux espaces invivables. L'urbanisme non contrôlé de ces cités dépourvues de la moindre approche esthétique et culturelle fait qu'elles sont difficiles à vivre. Au niveau social, elles participent à la prolifération de la criminalité, la violence, la solitude, le stress engendré par les transports en commun. Cette situation est le résultat d'une politique d'aménagement qui a sacrifié certains joyaux urbanistiques, lieux de mémoire, pour ériger un tissu urbain sans caractère. En effet, notre pays a hérité d'un patrimoine urbanistique et architectural riche de par sa diversité qui affirme notre identité culturelle. Or, ce patrimoine est en dégradation considérable. Selon la revue «Les Architectes » publiée par l'Ordre des Architectes Tunisiens (OAT), l'habitat informel construit sans autorisation de bâtir et sans recours à l'architecte représente plus de 37 % de la production annuelle des logements. Pourtant, Tunis compte à elle seule plus de 1.591 architectes alors que Tozeur, la ville la plus authentique, n'en dispose que de 21. De toutes les villes tunisiennes, elle est la moins fournie en architectes. Qu'en est-il de l'architecture verte et la promotion de l'éco-construction par l'utilisation de matériaux locaux de construction et l'encouragement de l'innovation dans ces matériaux et dans les techniques de construction ? Le projet reste en état de rêve en raison entre autres des coûts considérables que cela engage, mais aussi d'une décision politique ferme. Des hectares de terres fertiles disparaissent sous le bitume des parkings et des rocades. Infrastructures routières, zones commerciales, ronds-points, lotissements, etc. On grignote sur ce qui reste de zones vertes, mais jusqu'à quand ?