Celui qui se définit comme un intellectuel enragé plus qu'engagé s'est penché sur le fait révolutionnaire, observant, analysant, luttant contre ce paysage politique aussi beau que bizarre, aussi riche que malheureusement dangereux. Une rencontre a eu lieu jeudi dernier à la médiathèque de l'Institut français de Tunis avec Aymen Hacen, à l'occasion de la parution de son dernier livre, «Suis-je la révolution ?», aux Editions Nous. Poète, essayiste, enseignant, traducteur, c'est avec la casquette de l'écrivain engagé qu'il est apparu ce jour-là. Son livre, comme le titre l'indique, traite de la révolution tunisienne, une révolution qu'il a endossée, s'est appropriée pour faire corps avec elle, malgré le point d'interrogation accolé à la forme interrogative de l'intitulé. Entouré de romans, d'essais, de magazines qui conféraient à l'espace une atmosphère particulière, Aymen Hacen a eu pour interlocuteur Haytham Jarboui, chercheur qui prépare une thèse de doctorat sur l'écriture du corps dans les romans de Philippe Sollers. Ils discutaient entre eux, parfois s'adressaient au public en même temps. Assez souvent la vedette du jour rectifiait jovialement un nom prononcé par son ami. Un échange décontracté, un brin improvisé. L'auteur a choisi comme contexte littéraire, philosophique et idéologique le dix-huitième siècle, «porteur de valeurs universelles», pour interpréter mais aussi donner du sens au printemps tunisien. C'est par ces mots qu'il présente son écrit à La Presse et défend sa portée : «C'est un livre qui fera date parce qu'il réactualise la pensée des Lumières», s'inscrivant dans un courant d'idées qu'il a essayé d'initier depuis la révolution à travers quatre ouvrages parus précédemment. Le cinquième vient donc alimenter cette phase de réflexion et l'enrichir. «J'essaye de réfléchir sur le phénomène révolutionnaire. En partant du constat que la parole s'est libérée, les pages que j'ai écrites n'auraient pu voir le jour sous Ben Ali, mais le pays va mal, c'est le prix à payer», estime-t-il, philosophe. Le Voltaire tunisien D'entre les philosophes, il en a choisi un en particulier qui avait imprégné de sa marque le siècle des lumières, Voltaire, pour illustrer la couverture, fusionnant le portrait de l'auteur des Lettres philosophiques avec le sien. Du coup, sur un fond noir et mat, sous la perruque du penseur français, apparaît le visage juvénile de Hacen. Montage surprenant, inattendu qui brave les siècles et le temps, la mort et la vie, les identités, pour ne pas dire plus. Autodérision, admiration jusqu'à l'assimilation, impertinence, suffisance, que doit-on en penser ? «Comme Voltaire au 18ème, Aymen Hacen sera connu dans deux siècles comme étant le Voltaire tunisien.» S'exprimant à la troisième personne du singulier, la filiation, les références comme la posture de l'héritier tunisien sont donc parfaitement assumées. Engagé par ses idées, il l'est dans les faits, Hacen est affilié au parti El Massar, sa «famille politique» dont il défend les choix, la vision et les principes fondamentaux. Sur cette voie, il avait eu un mentor qui l'avait initié. «J'ai fait mon entrée politique en suivant feu Ahmed Brahim qui était mon professeur». C'était un homme politique, un homme de valeurs et un grammairien illustre. La femme pour embellir le contexte Celui qui se définit comme un intellectuel enragé plus qu'engagé s'est penché sur le fait révolutionnaire, observant, analysant, luttant contre «ce paysage politique aussi beau que bizarre, aussi riche que malheureusement dangereux». Il se bat contre cette disposition à considérer la Tunisie «comme un gâteau qu'on partage». Le livre est une construction de fragments disparates, du moins par la forme : «deux lettres, deux entretiens et deux études : six étapes précédées par un texte liminaire dans lequel est formulé le vœu de perpétuer l'esprit des Lumières». A travers cet héritage séculaire historique et philosophique, il se transpose dans la Tunisie d'aujourd'hui pour se projeter, in fine, dans celle de demain : «Une Tunisie qui sera fondée sur la laïcité, sur l'égalité et sur la parité». Contrairement à ce qu'on fait croire, selon lui, la femme ne fait «qu'embellir le contexte», mais n'occupe toujours pas la place qui lui sied. La rencontre tout comme le livre ont synthétisé un va-et-vient entre les outils intellectuels, philosophiques, littéraires et l'actualité tunisienne, par extension arabe. Un entrelacs qui brouille les pistes, mélange les genres et les registres, par le biais tantôt d'évocations poétiques, «parce que la poésie sauvera l'humanité», tantôt par des revendications politiques mais aussi culturelles des plus hardies, «la Tunisie est un pays occidental». Aymen Hacen aime écrire pour le plaisir que lui procure la plume, pour la nuance qu'elle apporte à l'oralité, il écrit parce qu'il a des choses à dire, il écrit parce que mû et motivé par un but ultime ; «sortir la Tunisie de ce marasme». Souhaitons-lui bonne chance !