Par Raouf SEDDIK Le limogeage de Rex Tillerson n'est pas un acte isolé : il intervient sur fond d'un affaiblissement de tout un staff dédié à la gestion du dossier nord-coréen, pour lequel le président américain s'engage pourtant dans la perspective d'un prochain Sommet... Une situation inédite, et inquiétante Remplacer le patron de la diplomatie à la veille ou presque d'un sommet ultra sensible avec la Corée du Nord autour de son arsenal nucléaire, voilà qui étonne grandement mais qui, venant de Donald Trump, étonne beaucoup moins. Au lendemain de cette annonce, faite mardi dernier sur le réseau social Twitter, la Chine s'est empressée de faire part de son inquiétude, en déclarant par la voie de son ministère des Affaires étrangères: «Nous espérons que ce changement de personne n'aura aucune répercussion pour le développement des relations bilatérales et pour la coopération sino-américaine sur certains dossiers importants»... En tête des dossiers importants, il y a bien sûr la question de la Mer de Chine et les problèmes de souveraineté qu'elle soulève, ainsi que les tentations protectionnistes des Etats-Unis en matière de commerce de certaines matières comme l'acier et l'aluminium. Mais il y a aussi et surtout le sommet prévu d'ici fin mai entre Donald Trump et Kim Jong-Un. La Chine y est particulièrement impliquée — de même que la Corée du Sud — et n'a pas cessé de prodiguer ses encouragements en vue de la tenue effective de ce sommet, dont la nouvelle de l'accord a pris de court la planète entière. Il y a quelques jours, et dans la foulée de l'annonce de l'acceptation du principe d'une rencontre de la part du président américain, Hilary Clinton avait émis des réserves en expliquant que l'Administration américaine avait été vidée de toutes les personnes qui auraient pu jouer le rôle de vrais négociateurs. L'ancienne secrétaire d'Etat et candidate malheureuse à la dernière présidentielle laissait entendre que l'actuel locataire de la Maison-Blanche avait fait le vide autour de lui. Le départ de Rex Tillerson devrait conforter son propos. D'autant que l'explication donnée par Donald Trump abonde dans le même sens : elle se contente de faire état de divergences au sujet de certains dossiers, comme celui de l'accord sur le nucléaire iranien... Résoudre les divergences en usant de son pouvoir de limoger n'augure rien de bon du point de vue du profil de la nouvelle équipe : car de la capacité de composer avec les divergences en interne se construit la capacité de les négocier en externe ! En fait, et à considérer les choses froidement, on se demande comment cette séparation n'a pas eu lieu bien plus tôt. Car les divergences, si l'on en croit les observateurs attentifs de la politique américaine, sont plus la règle que l'exception entre le président américain et l'ancien secrétaire d'Etat : sur l'accord iranien que Trump souhaite dénoncer, mais aussi sur le climat, sur le déménagement de l'ambassade US à Jérusalem, sur les taxes à l'importation qu'il est question d'imposer à certains pays, sur la gestion du problème nord-coréen, sur les relations avec la Russie... D'autre part, il n'y pas que le limogeage de Tillerson qui inquiète : il y a aussi son remplacement. Puisque Mike Pompeo, qui dirigeait jusque-là la CIA, s'est fait connaître comme un personnage assez proche de Trump par son caractère imprévisible et fantasque. On lui reproche des positions radicales sur certains dossiers. On laisse également entendre qu'il est plus soucieux de complaire au président que d'assumer les responsabilités qui lui sont réellement imparties en vertu de ses fonctions. Or chacun peut imaginer ce que peut vouloir dire complaire au président et les difficultés que cela peut engendrer dans le contexte d'une négociation aussi délicate que celle qui va porter sur le nucléaire nord-coréen et dont l'échec, s'il devait survenir, pourrait avoir des conséquences tout à fait dramatiques pour la région et pour le monde. Et tout cela s'ajoute au fait que l'actuelle secrétaire d'Etat adjointe pour l'Asie de l'Est, Susan Thornton, n'est toujours pas confirmée à son poste par le Congrès, que le représentant spécial pour la politique nord-coréenne, Joseph Yun, vient de prendre sa retraite et n'est pas remplacé et qu'il n'y a pas aujourd'hui d'ambassadeur américain dans une capitale aussi stratégique du point de vue des négociations avec les Nord-Coréens que Séoul... Un tel état d'impréparation est inédit dans les annales de la diplomatie américaine et l'on se demande juste comment se fait-il que la première puissance du monde permette qu'une telle chose arrive : que se passe-t-il donc au pays de l'Oncle Sam ?