Une chose est sûre : ni le régime hybride ni celui parlementaire ne peuvent fonctionner avec une société qui vit une grande métamorphose. Une société où le processus démocratique a besoin de temps pour mûrir, où « la démocratie doit s'appréhender au niveau de l'individu par un apprentissage de soi, par le développement d'une compétence réflexive dès l'école primaire et au niveau de la collectivité ». Le projet de nouvelle Constitution présenté, mercredi, à Tunis par la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, remet en question le régime politique initié en Tunisie depuis 2014. Lequel régime se veut à l'origine de tous les blocages, de l'avis de Moussi ainsi que d'autres analystes et observateurs. La question du régime politique le mieux adapté à une société arabo-musulmane qui a récemment fait sa révolution contre la dictature est, encore une fois, au centre d'un grand débat. Revenant sur les limites de l'actuel régime, ni tout à fait présidentiel ni tout à fait parlementaire, l'ex-secrétaire général adjoint du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) dissous souligne que ce système hybride a favorisé un déséquilibre de taille entre le gouvernement et l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). D'autant qu'à l'issue de trois ans d'exercice, ce régime politique s'est avéré peu efficace vis-à-vis des difficultés politiques, économiques et sociales dont souffre le pays, depuis la destitution du régime de Ben Ali. Volet technique, en vertu du présent modèle de gouvernance, les textes transmis à l'ARP, bien que requérant souvent urgence, mettent souvent des mois pour être examinés. D'où le blocage des institutions constitutionnelles et l'énorme gaspillage d'un temps précieux pour un pays qui se reconstruit. Si bien que le chef du gouvernement ne peut en aucun cas opérer un remaniement ou encore le moindre changement sans l'aval de l'ARP. Les exemples de la Haute instance électorale (Isie) et de l'Instance vérité et dignité (IVD) lors de la désignation de responsables à leur tête seraient, à ce titre, édifiants. Quant au président de la République élu au suffrage universel direct, il n'est pas l'unique maître à bord, même quand il s'agit de ses compétences régaliennes. Il est appelé à consulter le chef du gouvernement, voire le président du Parlement, au sujet de « la définition des politiques générales dans les domaines de la défense, des relations extérieures et de la sécurité nationale relative à la protection de l'Etat et du territoire national des menaces intérieures et extérieures». Pis encore. Les spectacles récemment offerts par les élus du peuple au sein d'une ARP hétéroclite ont été d'une turpitude qui n'a d'égale que la platitude d'acteurs politiques dont les coups bas pleuvent ici et là. Des coalitions aussi fragiles que décomposables La danse macabre à laquelle ont dernièrement eu droit les Tunisiens lors de la séance consacrée à l'IVD n'aurait rien d'étrange quand on sait que notre ARP est le fruit d' élections législatives (2014) ayant donné lieu à l'hégémonie de deux partis politiques, Nida Tounès et Ennahdha. Ces deux partis ont accumulé à eux seuls 65,35% des suffrages exprimés, avec respectivement 86 et 69 sièges, soit plus de 70% des sièges sur un total de 217 députés. Alors que le reste des parlementaires ont été élus grâce à quelques centaines, voire quelques dizaines de voix. Ce système électoral ne peut donner lieu qu'à des équipes et coalitions aussi vulnérables que dissociables, voire clivables, au moindre désaccord. Toujours est-il que le choix d'un mode électoral où toutes les sensibilités politiques devaient être représentées pour l'élection d'une assemblée pouvait être justifié en 2011, dans la mesure où l'objectif était d'élaborer une nouvelle Constitution en rupture avec celle de 1959, conçue par un seul parti: le Neo-Destour. Ce choix, fait à l'époque par l'instance supérieure pour la sauvegarde des objectifs de la révolution alors présidée par Iyadh Ben Achour et dont les limites ont été repérées lors des travaux de la Constituante, n'aurait toutefois pas dû être conservé, lors des législatives de 2014. Cela n'a malheureusement pas été le cas et l'on ne sait pas encore les vraies raisons. Aujourd'hui que les bourrasques continuent à alterner avec les orages sous un ciel chaotique tunisien, une chose est sûre : ni le régime hybride ni celui parlementaire ne peuvent fonctionner avec une société qui vit une grande métamorphose. Une société où le processus démocratique a besoin de temps pour mûrir, où « la démocratie doit être appréhendée au niveau de l'individu par un apprentissage de soi, par le développement d'une compétence réflexive dès l'école primaire et au niveau de la collectivité ». Le régime politique à adopter pour cette Tunisie nouvelle qui se reconstruit est, à bien des égards, à penser et à repenser minutieusement et en profondeur. Car les sociétés arabo-musulmanes dont fait partie la Tunisie, généralement endogames (privilégiant les cercles fermés et le degré de consanguinité élevé), ont tendance à avoir pour arbitre beaucoup plus l'affectif que le rationnel. D'autant que le besoin d'être assisté, voire guidé semble être le dénominateur commun de l'architecture mentale d'une société. De bien des sociétés.