Par Abdelhamid Gmati «C'est scandaleux ce qui se passe aujourd'hui!». C'est la députée du Courant démocratique Samia Abbou qui s'exclame ainsi, lors de la séance de l'ARP de jeudi dernier, consacrée à l'approbation de la nomination du nouveau gouverneur de la Banque centrale. Elle exprimait sa frustration et sa colère, déplorant, avec d'autres députés, l'absence du chef du gouvernement qui devait répondre aux questionnements des élus concernant les mobiles de la démission de l'ancien gouverneur et la proposition de son successeur qualifiée de non-respect pour l'Assemblée. Elle alla même jusqu'à qualifier l'Assemblée des Représentants du Peuple de « cirque ou encore de zoo ». Elle n'était pas la seule dans cet état, sa collègue Sabrine Gobantini, du groupe Al Horra, a estimé que « bientôt on lira la Fatiha sur cette Assemblée ». Il faut dire que l'ARP offre un spectacle désolant, maintes fois dénoncé par les citoyens qui suivent les travaux parlementaires en direct sur une chaîne de télévision. Certains n'ont pas hésité à utiliser le terme de «cirque» pour qualifier certaines séances, où des députés refusant les débats, se lançaient dans des invectives, des insultes, des accusations, allant même jusqu'au pugilat. Mais le principal reproche concerne l'absentéisme des députés. Selon l'ONG Al-Bawsala, le taux de présence des députés aux travaux des commissions de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) s'élève à seulement 59%. « C'est là l'une des causes du retard souvent mis dans la discussion des projets de loi en cours d'examen », estime la présidente de l'ONG qui ajoute : «Il y a un réel désintérêt de la part de beaucoup de députés pour les projets de loi même les plus importants. Plus que les divergences sur le contenu des projets de loi, c'est l'absentéisme qui est à l'origine des retards enregistrés dans la promulgation des lois pourtant nécessaires et urgentes pour la bonne marche du pays ». Des politiques, constitutionnalistes ou militants de la société civile estiment que c'est le mode de scrutin qui est à l'origine de l'instabilité. « Nous avons un Parlement qui croit gouverner, mais qui se déchire souvent sur des broutilles en se donnant en plus en spectacle, une opposition rabougrie qui souvent n'est pas écoutée, voire écrasée et donc qui n'a d'autre choix que de se donner elle aussi en spectacle des plus infantiles, une majorité hétéroclite, parfois insolente, mais avec des parallèles qui hélas se rencontrent, magouillent mais qui ne se font aucun cadeau et donc se neutralisent, un gouvernement qui n'a d'union que le nom puisque les différentes sensibilités qui le composent ne ratent aucune occasion pour se glisser mutuellement des bananes sous les pieds et enfin un président pourtant élu au suffrage universel, donc par le peuple, mais qui n'a que quelques domaines réservés et pas plus ». Le constitutionaliste Amine Mahfoudh appelle « à la révision du code électoral, à mettre fin à la proportionnelle et à adopter le scrutin majoritaire à deux tours, que ce soit un scrutin majoritaire uninominal ou un scrutin majoritaire de liste. Il faut savoir que l'exercice démocratique ne peut réussir que dans la stabilité, la proportionnelle n'offre pas de stabilité ». Lors du colloque international, jeudi dernier, sur « Les institutions constitutionnelles quatre ans après l'adoption de la Constitution tunisienne de 2014 », Rafaa Ben Achour, professeur émérite à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis et juge à la Cour africaine des droits de l'Homme et des Peuples, a estimé que « La Constitution a mis en place un régime hybride et non pas mixte, le régime actuel n'est ni parlementaire, ni présidentiel, ni d'assemblée. Il ne se base ni sur une réelle séparation ni sur une réelle interférence des pouvoirs.» Pour lui « le mode de scrutin à la proportionnelle, adopté depuis les élections des membres l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), était requis pour élaborer une Constitution consensuelle et permettre à la minorité de participer à l'élaboration du contrat social. Cependant, pour faire face au glissement de la monnaie nationale et pour sortir le pays de ses crises sociale et économique, nous devons faire en sorte que le Parlement dégage un vrai gouvernement de législature après les élections de 2019, comme cela se voit dans les pays scandinaves et l'Italie. Je pense que dans une démocratie, la proportionnalité est nécessaire mais elle doit être accompagnée d'un mode de scrutin qui favorise la majorité. Si la révision de la Constitution s'avère difficilement envisageable pour des raisons juridiques ou politiques, le mode de scrutin en général devrait être révisé ». Ce qui se passe à l'ARP serait donc une conséquence du mode scrutin. Le changera-t-on ?