Par Soufiane Ben Farhat Les partis confessionnels libanais n'en finissent pas d'administrer, par l'absurde, leur irréconciliable discorde. Et tant que le Liban aura des partis confessionnels en lieu et place des partis politiques, il en sera ainsi. Mais le plus grave est ailleurs. Dans le sens littéral du terme "ailleurs". Toute crise libanaise, si petite soit-elle, est par essence internationale. C'est tellement patent et latent que c'est passé dans le jargon politique libanais. On y dit bien "l'International", comme on dit "l'Israélien" ou "l'Américain". Il y a deux jours, la cheffe de la diplomatie américaine, Hillary Clinton, a téléphoné au président libanais Michel Sleiman. Selon la presse libanaise, le ton de Mme Clinton était plutôt ferme. Elle a affirmé qu'il y a, au Liban, des tentatives visant à affaiblir la mission du Tribunal international spécial pour le Liban. A l'entendre, ces présumées tentatives "ne doivent pas être tolérées". Elle a réitéré à l'occasion "le soutien tenace" de l'administration américaine au "développement d'institutions libanaises fortes et performantes" et à "la souveraineté, l'indépendance et la stabilité" du Liban. Entre-temps, le Conseil des ministres libanais reportait une nouvelle fois le débat sur l'épineuse question des faux témoins pour permettre au Président Sleiman une nouvelle médiation entre majorité et opposition. C'est dire l'extrême précarité de la donne libanaise et ses ramifications internationales. Dans la livraison d'hier du quotidien libanais L'Orient-Le-Jour, le journaliste Emile Khoury a écrit un commentaire fort instructif intitulé "L'hospitalité politique à la libanaise, c'est toujours fifty-fifty". Il y dit notamment : "Rien ne change au Liban. Quand un visiteur étranger de marque se pointe, venant d'Est ou d'Ouest, une partie de la population l'accueille avec des youyous et l'autre par des huées. L'une élève son portrait et l'autre le lacère. Et quand un zaïm oriental lance à un leader occidental, à partir de notre territoire, «nous sommes là», ce sont des Libanais qui lui répondent «mais l'autre aussi, à nos côtés!» Tout le monde s'y met, sauf l'Etat, tenu à l'écart et qui compte pour rien. Bref, plutôt que de le soutenir, cet Etat censé servir de toit commun, de penser et d'agir en termes de nation, nos leaders courent, dans la compétition qui les oppose, après les soutiens extérieurs, de gauche ou de droite. Avec, évidemment, un prix à payer. Ce qui fait que, de leur faute, ce pays reste une serpillière sur laquelle toutes les puissances du dehors s'essuient les pieds, une lice ouverte pour des règlements de comptes par fractions libanaises interposées". Lors de la visite récente au Liban du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, cela s'est vérifié amplement. Les camps étaient on ne peut plus tranchés. Les uns exultaient, les autres arboraient la mine triste des lendemains des grandes débâcles. En suivant les échanges bien évidemment peu amènes sur les différentes chaînes satellitaires libanaises — des chaînes confessionnelles pour la plupart — le paradoxe sautait aux yeux. Tous les protagonistes assumaient volontiers une attitude sinon conflictuelle avec ceux d'en face, du moins férocement contradictoire. Et tous s'accordaient à souscrire le plus naturellement du monde que les clés des arrangements possibles se trouvent "ailleurs", chez "l'International" c'est-à-dire à Washington, Riyad, Téhéran, Damas ou Doha. Et puis, tapi dans l'ombre, entre l'écume et la crème, il y a bien sûr Israël. Celui-là même qui cultive à l'endroit du Liban une haine viscérale et le craint comme la peste. Outre des considérations historiques, voire anthropologiques, liées à la profonde identité chrétienne du Liban, Israël a lamentablement mordu la poussière au pays du Cèdre. Pourtant, il l'a longuement relégué au statut de ventre mou du monde arabe et a placé ses installations stratégiques en Galilée, prétendument "à l'abri", jouxtant les frontières libanaises. Ironie du sort, c'est précisément au Liban que l'armée d'occupation israélienne a essuyé ses plus cuisants revers. Pis, ce sont bien aujourd'hui des armes libanaises qui, en cas de représailles, menacent sérieusement Israël d'anéantissement total ou partiel. Raison pour laquelle Israël n'a de cesse de mettre le feu aux poudrières au Liban. Seulement, pour être menacé d'embrasement total, il faut être soi-même préalablement poudrière. Et cultiver la dangereuse mentalité de "mon frère l'ennemi". Ce que certains Libanais "assument" avec un zèle de pyromanes.