Bien que l'ARP ait voté contre la prolongation d'une année de la mission de l'IVD, il n'y a, jusqu'ici, aucun signe que l'Instance de Sihem Ben Sedrine pliera bagage d'ici la fin du mois prochain. Du côté de la société civile, il n'est pas question qu'elle s'arrête, ainsi, en si bon chemin, sans que la justice transitionnelle ne prononce définitivement son verdict. Cette position de soutien, exprimée auparavant a été ainsi réitérée, mardi, lors d'une conférence de presse, tenue au siège du Snjt à Tunis. Un collectif civil de quarante organisations et associations avait, alors, signé le 17 de ce mois un communiqué commun dans lequel il a réclamé que le mandat de l'IVD (Instance vérité et dignité) soit prolongé jusqu'à la fin de décembre 2018. Soit sept mois de plus que la date butoir (31 mai), afin qu'elle puisse accomplir sa mission dans les meilleurs délais. Et c'est ce qu'a, d'ailleurs, demandé sa présidente, Mme Ben Sedrine, sans qu'un budget supplémentaire n'y soit, pourtant, alloué. Ainsi, Snjt, AMT, Ftdes, Ltdh et la Coalition tunisienne de la dignité sont à l'unanimité pour la défense, par tous les moyens, du processus de justice transitionnelle, en tant que voie idoine vers la réconciliation nationale. « Aujourd'hui, nous conjuguons tous nos efforts pour mener à terme ce processus, sans lequel il n'y aura pas une vraie transition démocratique », estime, convaincu, M. Neji Bghouri, président du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt). Et d'ajouter qu'on a le droit de connaître ce qui s'est passé à l'ère de la dictature et savoir comment avait fonctionné l'appareil de la torture et des violations des droits humains. Les pas suivants Y compris la vérité, poursuit-il, il faut aussi rendre justice aux victimes tout en garantissant leur dédommagement. « Qu'on en finisse avec la culture de l'impunité pour que de telles pratiques inhumaines ne se répètent plus», lance-t-il. D'où il est plus que nécessaire de laisser l'IVD parachever ses activités et remettre, dans les sept mois à venir, son rapport final. De par la crise politique qui sape la marche de l'IVD, les organisations signataires dudit communiqué voient que tout le processus de justice transitionnelle demeure, lui-même, menacé. Plutôt porté vers la vengeance, craint M. Jamal Msallem, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (Ltdh). Et pour cause. « On a pris soin de faire de notre mieux pour le sauver. Notre travail vient de commencer, avec la tenue de cette conférence de presse», explique-t-il. Et d'enchaîner que leur plan d'action se poursuivra à plusieurs niveaux, des contacts et des rencontres auront lieu avec les trois présidents de la République, du gouvernement et de l'ARP. Mais aussi avec le ministre de la Justice, l'Ugtt et l'IVD elle-même. L'objectif, selon lui, étant de défendre notre position, pour réfléchir sur les étapes suivantes et réussir le processus qui touche déjà à sa fin. L'IVD est appelée à dépasser ses différends internes, à accomplir sa mission et à transférer les dossiers des victimes aux juridictions spécialisées. « D'ailleurs, il y a eu certains dossiers qui ont été transférés », indique-t-il. D'autant plus qu'un observatoire sera mis en place pour accompagner le processus dans toutes ses étapes. « L'après-IVD, c'est aussi notre souci », conclut M. Msallem. Que l'ARP revienne sur sa décision M. Anes Hmaidi, président de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), a abondé dans le même sens. La prolongation du mandat de l'IVD est tellement importante qu'elle pourrait, à l'en croire, nous édifier sur les atteintes du passé et ceux qui en étaient responsables. «Cela ne pourrait jamais être mis à nu s'il n'y avait pas eu une justice qui soit en mesure de rétablir la vérité et punir les condamnés. Sinon, il n'y aura guère de réconciliation», a-t-il dit. Surtout que sept mois de plus avec zéro budget supplémentaire n'affecte en rien les charges de l'Etat, a-t-il défendu. Aller jusqu'au bout, ce sera plutôt de l'intérêt de tous et même de celui de la transition démocratique. Pour gagner ce plaidoyer, une feuille de route semble être établie. Outre le calendrier des rencontres prévues, des contacts auront lieu avec d'autres organisations internationales. Et M. Hmaidi d'annoncer, ici, qu'un congrès international sur la justice transitionnelle est attendu, auquel sera convié le rapporteur spécial des Nations unies chargé de la justice transitionnelle. « Il serait, par ailleurs, possible de se rendre à Genève à l'occasion de la présentation du rapport périodique de la Tunisie sur les droits de l'Homme ». De son côté, le représentant de la Coalition tunisienne de la dignité et de la réhabilitation, M. Houcine Bouchiba, voit que ledit processus est la pierre angulaire de la transition démocratique. « Saper sa marche, c'est toucher même à des valeurs et des relations humaines, notamment le vivre-ensemble», s'exprime-t-il avec amertume. Et de conclure qu'aujourd'hui plus de 60 mille dossiers ont été déposés auprès de l'IVD. Il a appelé l'ARP à faire prévaloir la voix de la raison et de la sagesse pour qu'elle revienne sur sa décision de non-prolongation.