Il est dit que la danse fut l'une des premières manifestations artistiques de l'histoire de l'humanité, peut-on lire dans les manuels encyclopédiques de la danse. Cette probabilité est devenue une évidence de nos jours après toutes les découvertes archéologiques qui ont révélé au monde l'immense richesse de l'art paléolithique qui, entre autres inscriptions, a donné à voir des tableaux fabuleux sur les expressions corporelles de nos lointains prédécesseurs. Ce qui confirme que la danse ne date pas d'aujourd'hui et qu'elle est une expression très ancienne qui a évolué avec le temps, le développement humain et les mutations sociales, jusqu'à devenir un art total à travers lequel chorégraphes et danseurs partagent le même objectif : dire ce que les mots n'arrivent pas à exprimer. Et c'est dans cette aventure qui traverse l'histoire pour mieux la saisir et la déchiffrer que le chorégraphe Karim Touwayma s'est lancé pour revisiter les danses tunisiennes dans une perspective ontologique qui devra aboutir à une réécriture contemporaine de l'ensemble du corpus de la danse tunisienne. L'objectif étant de redécouvrir ce patrimoine, l'archiver, le réécrire dans une forme esthétique qui lui permettra de sortir de ses carcans traditionnels pour pouvoir voyager à travers le monde et prendre part aux plus grands festivals de danse en s'inscrivant dans une démarche de dialogue avec les autres cultures du monde. «Ainsi dansait le berger» du Nouveau ballet de danse tunisienne, présentée dimanche soir au Théâtre de l'Opéra de la Cité de la culture, est l'aboutissement de ce projet initié depuis plus d'un an et demi par le Pôle ballets et arts chorégraphiques avec des auditions de danseurs à travers toutes les régions de Tunisie, lesquelles ont été couronnées par la sélection d'une dizaine de jeunes danseurs qui ont interprété le spectacle de ce soir. Pour un défi c'en est un grand, car Karim Touwayma a commencé par les régions les plus chargées d'histoire et de symboles de notre pays, en l'occurrence Sidi Bouzid et Kasserine où il a campé en résidence avec ses artistes, le temps de plonger dans l'univers rural où le berger trône en roi de la montagne en perpétuant le geste ancestral de tous les temps : faire paître le bétail. Et c'est à partir de ce détail que l'œuvre de Touwayma déploie toute son exubérance artistique pour dire ce que le berger ne dira jamais avec son corps mais à travers ses silences d'un homme solitaire, sa patience de résistant face au roc et aux éléments, sa fierté d'être indissociable de son environnement, car le berger de Karim fusionne avec la plaine, la montagne, le jour et la nuit... Et c'est bien ce qui donne à cette œuvre toute sa force et toute sa beauté. Karim Touwayma a reproduit la danse des hommes et celle des femmes dans une écriture extrêmement subtile dont les seules clés ne sont autres que des métaphores évasives qui incitent le spectateur à s'interroger encore et toujours. «Ainsi dansait le berger» évoque la lutte, la résistance, la quête de la liberté, l'amour et l'attachement à la mère nourricière. Un spectacle fort, avec des danseurs aguerris en dépit de la fraîcheur de l'âge à force de travailler sur un matériau dur, complexe et presque insondable. Un spectacle fluide mais intrigant, avec des sonorités parfaites relayées par une poésie populaire chantée qui donne la chair de poule tellement elle est vraie, sincère et cruelle dans sa beauté. Un spectacle à voir ou revoir absolument.