Karim Touwayma est avant tout un passionné de la danse tunisienne traditionnelle avec ses transes, ses univers et ses pas particuliers. Ayant grandi dans l'univers des Stambali et de la Hadhra, il a peaufiné son savoir-faire avec des formations en France et en Allemagne. L'un de ses objectifs aujourd'hui c'est de donner à la danse tunisienne un aspect contemporain et universel. Comment êtes-vous venu dans le monde de la danse ? Dès l'âge de huit ans, j'ai commencé à danser dans les clubs scolaires qui existaient à l'époque dans les écoles. A la Médina (là où je vivais), j'ai ensuite constitué un petit groupe avec mon entourage et on dansait sur l'avenue Habib-Bourguiba depuis les fleuristes jusqu'à la statue de Bourguiba. Ensuite, j'ai créé un autre groupe avec des petits enfants auxquels j'apprenais la danse. A l'époque on portait le nom de «Ballet Karim Touwayma pour la danse», on participait aussi à des festivités. En 2006, j'ai constitué un autre groupe avec des jeunes étudiants de théâtre. C'est à partir de là que j'ai commencé à réfléchir sur l'art chorégraphique et à découvrir le festival «Tunis capitale de la danse», lancé par Sihem Belkhodja. Ensuite, j'ai rencontré Imed Jemaa et j'ai intégré la compagnie du Centre chorégraphique méditerranéen. C'est là que j'ai eu une formation en danse contemporaine et art chorégraphique. C'était une formation très utile qui m'a permis de faire mon petit bonhomme de chemin, et mon chemin préféré était le Stambali, les transes et les «Rboukhs»!. Parce que je suis né dans ces milieux, précisément le Satmbali, la Hadhra de Bab Dzira et Bab Lakouès... Le reste de ma formation a eu lieu à Paris, ensuite à l'institution créée par Dominique Dupuy. Cela m'a permis de découvrir l'esprit de la danse contemporaine. Et c'est à partir de là que je me suis posé la question : comment peut-on développer un mouvement traditionnel tunisien et l'intégrer dans la danse contemporaine ? J'ai choisi alors de travailler pour donner à la danse traditionnelle tunisienne un aspect universel. Pourquoi ce choix ? A Paris, j'ai vu des spectacles qui m'ont impressionné et des écoles de danse internationales qui ont donné aux mouvements culturellement marqués un élan universel. J'ai voulu donner cet élan universel à notre patrimoine parce que je suis profondément convaincu qu'on a les ressources et le background nécessaires. Nous pouvons penser à une danse tunisienne contemporaine qui peut être un jour enseignée dans le monde, tout comme les autres écoles internationales qui nous ont marqués. Et vous vous êtes retrouvé dans le Stambali... Tout à fait parce que je devais d'abord me situer par rapport à une culture qui m'habite, m'identifier musicalement en quelque sorte. Je me suis retrouvé dans le Stambali dont je maîtrise les instruments d'ailleurs. Alors j'ai commencé à réfléchir sur les mouvements du Stambali en essayant de les développer, de les sortir de leur côté répétitif, de les mettre en scène mais sans leur enlever la magie de leurs transes. Le défi était de créer un effet esthétique de danse contemporaine tout en restant dans le monde «envoûtant» du fameux Stambali. Le spectacle de «Laarifa» était un aboutissement de cette réflexion ? Tout à fait. «Laarifa» est un spectacle traditionnel mis en scène de manière très contemporaine. Le traitement se fait aussi bien sur les sons que sur les mouvements mais aussi sur les personnages. «Laarifa», qui est dans le Stambali le deuxième personnage le plus important après le Yenna, a fait l'objet d'un traitement particulier. Pour moi c'était une sorte de laboratoire d'expérimentation qui m'a permis de mieux cadrer mes objectifs. C'était un spectacle qui a eu du répondant auprès du public qui a réussi à décoller et à entrer dans ce monde même si le traitement était moderne. Après Laarifa, j'ai fait un spectacle de danse en solo. Un solo qui s'appelle «Bori» et qui est l'instant «T» entre l'état normal et l'état de la transe. Ce spectacle était un travail sur ce passage entre deux états. J'ai remplacé les costumes rituels par des liquides, des couleurs que je déversais sur mon corps et chaque couleur avait une référence spirituelle particulière dans le monde du Stambali. J'ai fait également intervenir un miroir devant lequel je dansais parce que le miroir a une signification «magique» et de communication avec les gens de l'au-delà dans le monde du Stambali. N'y a-t-il que le Stambali que vous tentez d'inscrire dans l'univers de la danse contemporaine ? Non il y a aussi la «Kadria», la «Issaouia», la «Chedlia», la «Hattabia» et les danses des régions de Siliana, Kasserine, Kairouan et Médenine sans parler des différentes danses du Gougou et du «gbanten». Le fait que j'ai côtoyé et travaillé avec des gens qui ont cultivé tout ce savoir faire me permet d'avoir un point de vue particulier sur la question pour pouvoir la développer. Actuellement vous êtes le directeur technique du nouveau ballet de la danse tunisienne; quels sont vos projets ? Notre projet s'étale sur deux axes : la formation et la création. Les membres de ce ballet sont issus de toutes les régions de Tunisie. Tous ces membres sont actuellement à Tunis en train de recevoir une formation mais en même temps ils sont en train de réfléchir sur des créations. Le premier répertoire de ce nouveau ballet se focalisera su la région de Kasserine, Sidi Bouzid, Semama. Pour cette région j'ai pour conseiller artistique Adnene Hellali. Il participera également à l'écriture des textes du spectacle. La première de ce spectacle aura lieu à la Cité de la culture. Il y a aussi la performance du spectacle du 26 mai «Ainsi dansait le berger». Ce sont des spectacles qui montrent que nous avons une identité et des racines qu'on peut utiliser positivement et artistiquement pour donner nos couleurs et nos mouvements au monde et ne pas nous contenter d'être de simples consommateurs.