Une vingtaine de femmes de la Méditerranée viennent de se rencontrer en Italie. Objectif de la réunion : mettre en place une structure de communication et d'information visant à donner plus de visibilité aux Méditerranéennes des deux bords C'est à Caranzano, au fin fond de la verdoyante campagne piémontaise au nord de l'Italie, qu'une rencontre organisée par le Fonds pour les femmes en Méditerranée, une ONG française spécialisée dans la collecte des fonds pour les associations féministes, a eu lieu du 5 au 9 juillet. Une immense maison appelée par sa propriétaire, la féministe, écrivaine et journaliste italienne Monica Lanfranco, « L'altra Dimora » (L'autre demeure), a abrité les débats entre une vingtaine de femmes des deux rives de « mare nostrum ». La rencontre, qui avait pour objectif la mise en place d'un réseau d'information et de communication sur les femmes et par les femmes journalistes et activistes de la Méditerranée, répond à un besoin des unes et des autres d'une information fiable et libre de tout stéréotype et de tout fake news sur le genre. Une ambiance de sororité a régné dans la demeure de Monica Lanfranco. La bienveillance de l'hôte italienne mais aussi l'impact de l'identité méditerranéenne qui unit et imprègne les femmes de la région y étaient pour quelque chose. Langage sexiste et images stéréotypées Les femmes des deux rives nord et sud ont un autre point commun : un manque de visibilité dans les médias mainstream, y compris lorsqu'il s'agit d'histoires et d'expériences inédites et innovantes les concernant. Sous-représentées et stéréotypées, elles sont souvent victimes d'un sexisme ordinaire, qui semble avoir la vie dure. « Vingt ans de berlusconisme ont fait beaucoup de mal aux femmes italiennes. Leur image est réduite au sexe et à la beauté. A Télé 5, on parle de violence à l'égard des femmes comme il y a cinquante ans, en banalisant le mal et en prenant presque le parti des agresseurs. Souvent à la télé, on ne peut rien faire d'autre que d'éteindre l'écran », témoigne Frederica Tourn, journaliste italienne. « Un langage sexiste règne dans notre paysage audiovisuel. Attention aux mots que nous utilisons. Car les mots sont des pierres : on peut bâtir une maison avec comme on peut tuer quelqu'un », ajoute Monica Lanfranco. Pour Caroline Brac de la Perrière, la directrice de FFMed, les régressions dans l'univers de la presse féministe sont regrettables : « Des publications ont disparu alors que la presse généraliste a du mal à évoluer », affirme-t-elle. Samia Allalou, journaliste algérienne et membre du Fonds pour les femmes en Méditerranée, a longtemps cherché dans le monde arabo-musulman une revue féministe : « Je n'en ai trouvé aucune », soutient cette ancienne figure marquante de la télévision algérienne, qui tourne depuis 2005 des documentaires sur les droits des femmes et leur lutte dans différents pays d'Afrique. L'Association « Prenons la Une » réunit des femmes journalistes Devant un plafond de verre qui persiste en excluant les femmes des postes de direction des rédactions, des initiatives apparaissent ici et là pour contrecarrer cette tendance à un univers médiatique dominé par les hommes. En Palestine, la radio « Sawt Ennisa » (La voix des femmes) fonctionne avec un personnel 100% féminin. Elle veut porter la voix des femmes et les informer sur des thématiques qui les intéressent : santé, éducation, économie, politique... En France, le magazine « Femmes d'ici et d'ailleurs » est un trimestriel qui propose de dénoncer les violences faites aux femmes et surtout de faire connaître celles qui font bouger les lignes. En France encore, l'Association « Prenons la Une » réunit des femmes journalistes engagée pour une juste représentation des femmes dans les médias et pour l'égalité professionnelle dans les rédactions. Ailleurs, en Croatie, Espagne, Italie, Algérie, Maroc, Egypte...des initiatives pour faire entendre le point de vue des femmes sur le monde qui les entoure fleurissent grâce au nouvel écosystème médiatique : réseaux sociaux, Internet, Youtube... Monica Lanfranco rêve d'unir toutes ces synergies dans un réseau/ plateforme multimédia dédié aux femmes de la région. « Un réseau qui reflèterait un journalisme nouveau, fait de photos, BD, caricatures, articles, vidéos... ». Le rêve de Monica devient projet Pendant les journées d'échange et de débat à Caranzano, le FFMed a adopté le rêve de Monica comme objectif de la rencontre. Un premier jet du projet réseau/plateforme des femmes de la Méditerranée a été esquissé. Cette structure veut diffuser l'information et des bonnes pratiques à propos des femmes. « A ce propos, les femmes du sud peuvent être aussi inspirantes que les femmes du nord », insiste Nidhal Al Azhari, activiste féministe marocaine et présidente de l'association Union des féministes libres. Ce nouvel outil de communication cherche également à centraliser une information crédible sur le genre éparse et à la diffuser largement à travers tout le réseau méditerranéen et au-delà. Il veut aussi renforcer la solidarité et la complémentarité entre les militantes professionnelles, les activistes sur les réseaux sociaux et les journalistes, tout en essayant d'atteindre les grands médias en y relayant une information attractive sur le vécu et les droits des femmes. Car tout l'art à ce niveau consiste à sortir des niches et des cercles traditionnels féministes pour devenir un levier pour une prise de décision en faveur des femmes et de leurs droits et libertés. A Caranzano, un bureau, un conseil et une équipe de coordination ont été choisis pour commencer à travailler sur la forme et le contenu du réseau. Il reste à trouver les fonds pour rendre le rêve de Monica vraiment possible Le Fonds pour les femmes en Méditerranée en bref Le Fonds pour les femmes en Méditerranée (FFMed) a été créé voilà dix ans. L'initiative est venue de femmes engagées depuis plusieurs dizaines d'années pour les droits des femmes dans la région méditerranéenne. Ces femmes, attachées plus que tout à une identité méditerranéenne faite de brassage et de métissage des cultures, ont estimé nécessaire de fonder une structure dévouée à soutenir financièrement le mouvement pour l'émancipation des femmes dans la région. « L'argent est bien le nerf de la guerre », persistent-elles à croire. Le FFMed met en œuvre des programmes tels que le renforcement des jeunes femmes qui s'engagent à faire changer les lois discriminatoires et les mentalités dans les pays de la Méditerranée, notamment en organisant des sessions de formation sur « l'intelligence collective ». Le FFMed met en place également, à chaque fois que les situations urgentes l'exigent, des espaces de réflexion qui facilitent le dialogue entre groupes et associations de femmes d'un même pays et qui permettent de mettre au point des stratégies communes. Le FFMed est doté d'un conseil d'administration où la Tunisie est représentée par Alya Cherif Chammari, experte, juriste, avocate et militante pour les droits des femmes et l'égalité entre les sexes dans plusieurs organisations de défense des droits humains nationales et internationales. O.B.