«La nouvelle génération des fabricants de l'imaginaire tunisien» : par cette phrase, l'acteur Fethi Akkari a introduit, lundi 18 octobre, les auteurs des dernières productions cinématographiques de la société Exit. Il était accompagné par les jeunes réalisateurs Aladin Abou Taleb, Amen Gharbi, Ali Hassouna et Alaeddine Slim, et quelques techniciens et comédiens qui ont travaillé dans leurs films : Coma (7min), La boue (19 min), Le pont (25 min) et The stadium (24 min). Ces films sont projetés lors de cette édition des Journées cinématographiques de Carthage (La boue en compétition nationale et les trois autres dans la section Panorama du cinéma tunisien). Les jeunes de cette équipe ont été parmi les premiers à traduire le foisonnement actuel des courts métrages en Tunisie, que les JCC encouragent en leur consacrant pour la première fois une compétition nationale d'une douzaine de films. A leur sortie d'écoles et universités, ils ont décidé de sortir de l'impasse, d'opter pour le court, le support vidéo, l'autofinancement et le «low budget», en attendant de pouvoir faire du 35 mm, des longs métrages et d'obtenir la subvention du ministère de tutelle. Leur démarche a rapidement suscité de l'intérêt, grâce notamment à leur approche cinématographique simple mais pas simpliste. Deux courts métrages ont été produits en 2007 : L'automne d'Alaeddine Slim et Ayan Kan de Ridha Tlili. Deux autres l'ont été en 2008 : Fundo de Mahmoud Abdelbar et le documentaire Silence de Karim Souaki. Et on arrive aux quatre nouveaux films, fruit de deux ans de travail. Ces derniers courts métrages ont été filmés avec quasiment la même équipe technique, à l'exception de Coma, qui est un film de dessin animé où « des squelettes de personnes décédées tentent de quitter la mort et de retrouver la vie, poussés par l'irrésistible nostalgie du sentiment d'exister». Le pont et The stadium squattent tous deux, majoritairement, le centre-ville de Tunis, la nuit. Le premier parle de la rencontre entre un vieillard (feu Salah Miled, auquel le film est dédié) et un jeune. Leur aventure nocturne est ponctuée par des images de gouttes, tantôt de sérum, tantôt de pluie, d'eau, de vin, qui apparaissent à l'écran tel un chronomètre, un sablier peut-être, et qui découpent les séquences. Mise à part la sensation d'ennui qui vous gagne vers la fin, il y a de nombreux bons moments dans ce court métrage, comme celui où on filme l'ambiance du bar avec de gros et de très gros plans de visages, ou encore les virées du jeune à bord de sa moto, filmées en contre-plongée et qui nous rappellent de Mohamed Hassine Grayaa dans La tendresse du loup de Jilani Saâdi (2006). Dans The stadium, il s'agit de la rencontre entre un chien errant et « Ali, un supporter de football, revenant à la ville après la défaite de son équipe». La traversée d'un Tunis froid et glacial nous est livrée tantôt par des plans fixes, tantôt par des travellings, filmant les festivités éphémères, la langue de bois d'une radio que personne ne semble écouter… avec une structure en chapitres : «The meeting» (la rencontre), en passant par «The city» (la ville), «The wandering» (l'errance) et «The evaporation» (l'évaporation) jusqu'à «The departure» (le départ). La boue est, quant à lui, une bien curieuse œuvre. Le synopsis raconte: «Après avoir terminé son service militaire, Esghayer rentre dans son village natal. Mais, à sa grande surprise, il le trouve plongé dans le chaos suite à de grandes inondations. Esghayer cherche son père au milieu de la foule et des ruines mais ne le trouve pas. Il apprend néanmoins que son père a trouvé refuge dans un abri au sommet d'une montagne avoisinante. Esghayer entame alors un voyage initiatique dans la montagne, errant sur le chemin de l'abri...». Avec le visage typique d'Esghayer, son costume militaire bien de chez nous et les habits traditionnels des villageois, son périple à destination des hauteurs de la montagne semble pourtant bien prendre les allures d'une métaphore. On y trouve des éléments mythologiques, de contes populaires, et même des clins d'œil à ces films asiatiques peuplés de dragons, aux jeux vidéo ou aux mangas. Ne dit-on pas que «l'important c'est le voyage, pas la destination»! A travers ces quatre films, les jeunes d'Exit présentent un projet de cinéma, dirions-nous, binaire, qui, à partir des techniques basiques, transmet des œuvres écrites dans un langage cinématographique d'une grande richesse, sachant surtout que La boue a été filmé avec une caméra Panasonic HD et Le pont et The stadium avec un appareil photo Canon 5D Mark II. La boue et The stadium, ayant bénéficié de l'aide du ministère, ont pu être kinescopés pour pouvoir être projetés en 35 mm. En tout cas, aussi subjectif que puisse être notre avis, cela semble bien prometteur. Les pas sont de plus en plus sûrs, et vont vers la bonne voie. Seulement, comme nous l'affirme Chawki Knis, «c'est de plus en plus difficile avec les nouvelles lois sur l'autorisation de tournage, l'octroi de la carte professionnelle et la création d'une société de production. En plus de nos propres moyens et de la subvention, nous faisons des spots publicitaires pour pouvoir financer les films qu'on produit». Comment s'opère le choix de ces derniers ? «Nous sommes des compagnons de route et, pour le moment, nous faisons confiance à des amis et à des gens de notre entourage, avec qui nous partageons la complicité et la même vision de la création cinématographique, en attendant d'avoir les moyens d'élargir notre cercle», répond-il. L'équipe d'Exit prépare de nouveaux projets de courts métrages, dont un essai documentaire de Alaeddine Slim, intitulé En compagnie d'Hamlet, un autre de Karim Souaki et un long métrage autofinancé.