Une diversité de styles, de cultures et de rythmes foisonnent dans l'unique unité, la Tunisie. Un moment d'art et quelque part politique a plané dans les airs «24 parfums», Carthage l'a annoncé, non sans fierté, c'est son œuvre. Une production exclusive du festival signée par le pianiste et compositeur Mohamed-Ali Kammoun et chargée de clore en beauté la 54e édition. L'orchestre et chœur de l'Opéra de Tunis, sous la direction du maestro Mohamed Bouslama, était au complet. Kammoun au piano, la fête a pu prendre son envol vers 22h00, sous les applaudissements du public venu en masse faire honneur à un produit du cru célébrant la Tunisie des rythmes. Le compositeur, à qui revient la création orchestrale de ce spectacle aux multiples fragrances, ne s'est pas limité à ramener de chaque gouvernorat un choriste pour exécuter une chanson et s'en aller, la démarche a été culturelle, anthropologique, presque. Voilà deux ans, avec pour sponsor et principal appui le ministère des Affaires culturelles, une caravane d'artistes dirigée par le même Kammoun a pérégriné à travers les territoires. Sur place, des ateliers désignés par «workshops-concerts» ont vu le jour. Des artistes locaux, ceux «détenteurs de patrimoine», ont alors pris part à ce qu'il est convenu d'appeler désormais un portrait musical et authentique de la Tunisie. C'est ce qu'il a été donné au public de voir et écouter en ce mémorable vendredi soir. Quelques officiels ont fait le déplacement, le ministre de la Culture était, lui, présent. Un moment d'art Il était clairement perceptible que le maître d'œuvre de cet ambitieux projet a abordé les rythmes, chansons traditionnelles et airs de mariage de chaque région comme une entité mue par une histoire, une âme et des musicalités. Les costumes, les instruments, les pas de danse et célébrités locales ont alors raconté Zaghouan et sa subtilité andalouse, Tataouine et ses cadences bédouines. A travers des incursions, expérimentations et échanges, le must spécifique à chaque terroir a été saisi pour le décliner en chants et musiques. Nabeul, Le Kef, Sousse, Kasserine, Médenine, tout autant d'héritages musicaux exhumés et remis au goût du jour. Tout au long de presque trois heures, sans répit et sans baisse de forme ni de rythme, une identité musicale et inclusive d'un pays a été offerte à des Tunisiens subjugués, impressionnés par la beauté du résultat et le travail abattu. Un prélude musical, auquel succèdent des chansons traditionnelles recueillies et arrangées, est alors présenté par des musiciens exercés et un chœur joyeux et dansant. Chaque nouvelle découverte est saluée par des hourras et des applaudissements nourris. Une diversité de styles, de cultures et de rythmes foisonnent dans l'unique unité, la Tunisie. Un moment d'art et quelque part politique a plané dans les airs. Il n'en fallait pas plus pour Mohamed-Ali Kammoun pour donner libre cours à son émotion. Jouant du piano, dirigeant chœur et solistes, il se lève parfois d'un bond, effectue des mouvements de danse, interpelle le public, chante à l'occasion et regagne son clavier heureux et reconnaissant. Sans verser dans le folklore Bémol, tout de même, pour conjurer le mauvais œil, peut-être, la sono n'était pas minutieusement réglée. Quelques effets larsen, des bruits parasites et perçants ont altéré par moments la qualité du son. Notons également un manque de maîtrise manifeste quant à la variété des volumes des instruments. Qu'il s'agisse d'une composition instrumentale ou pour accompagner un chanteur, les niveaux sonores émis n'ont pas été modulés selon les cas. Certaines voix, pourtant très belles, ont été littéralement couvertes par l'orchestre, n'ayant pu se distinguer par-dessus les instruments qui les accompagnent, d'autres chanteurs ont été poussés à carrément hurler pour se faire entendre. Toujours est-il, plus d'une centaine de personnes ont uni leurs efforts et savoir-faire pour mettre au point ce travail titanesque qui a, pour entre autres objectifs, de « valoriser le patrimoine musical de la Tunisie sous un angle authentique et innovant. » Défi relevé haut la main par Raouf Karray pour le design graphique, Eduardo Serrano dans la création vidéo. Des chanteurs traditionnels ont ramené dans leurs bagages des sons et des senteurs, ont plu et ému, à l'instar de Mohamed Salah Issaoui, Mahmoud Arfaoui, Hassan Saada, Mondher Jebabli, Sofiane Zaidi, Mootacem Laamir. La liste est longue. Côté musiciens, Lotfi Soua à la percussion, Zied Zouari au violon, Ahmed Litaiem au « nây, » Mohamed-Ali Werda à la «zokra» et d'autres ont excellé à travers des envolées musicales en solo et avec l'orchestre. Quelques choristes, Chade Hichri en sa qualité de chef de chœur, mais encore Eya Daghnouj, Allem Aoun et bien d'autres encore, toutes générations et régions confondues, se sont alternés en harmonie sur le devant de la scène en jebba, malya et «kachabia». Des danseurs et danseuses ont apporté leurs touches propres. Epoustouflant, celui en burnous noir, incarnant le célèbre personnage des contes, «Boussaadia». Sans verser dans le kitch ni le folklore, le patrimoine immatériel de la Tunisie a été à l'honneur dans cette soirée de clôture. Un spectacle qui a suscité, bien plus que le plaisir, un sentiment fort d'appartenance. C'est au-delà de toute espérance. Merci !