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«La disparition du sens de l'Etat implique une détérioration du service public»
Trois questions à Achref Ayadi, expert bancaire et financier à Paris
Publié dans La Presse de Tunisie le 24 - 08 - 2018

Depuis plusieurs années déjà, la privatisation des entreprises publiques est une question qui fait débat. Abordée dans les congrès ou les colloques, brièvement évoquée dans les médias et presque toujours éludée par les politiques, la privatisation est un mot qui inquiète. En effet, rien n'est plus alarmant qu'une entreprise de plusieurs centaines de salariés qui coule financièrement depuis des années, sans voir le bout du tunnel. Dans cet entretien accordé à La Presse, Achref Ayadi, expert bancaire et financier, met en garde contre un attentisme qui pourrait coûter très cher aux générations futures. "Qui va détruire les services publics : les privatisations ou les recrutements anarchiques, l'impunité, le corporatisme et la corruption ?", se demande-t-il.
Entretien conduit par Karim Ben Said
Qui est responsable de la détérioration des entreprises publiques tunisiennes, qui, jadis, étaient la fierté de l'Etat indépendant?
La dégradation des services publics dans plusieurs secteurs stratégiques est un fait. Les exemples sont nombreux. Dans l'éducation nationale, le durcissement des conflits sociaux est en train de compromettre durablement la pérennité de l'ascenseur social et faire les choux gras de l'enseignement privé. Dans l'enseignement supérieur, les meilleurs profils de professeurs et de chercheurs sont en train de quitter massivement l'université nationale au profit de l'étranger, là où leur excellence est mieux reconnue financièrement. Dans le secteur de la santé publique, nous voyons désormais des chefs de service et des hospitalo-universitaires de renom suivre les pas des plus jeunes médecins spécialistes partis massivement à l'étranger, là où il y a des moyens pour soigner et pour sauver des vies. Dans les plus importantes administrations et grandes entreprises publiques, on rapporte que le départ des ingénieurs confirmés et de certains « anciens » à la retraite a laissé place à des jeunes sans envergure, arrivés là où ils sont désormais presque « par défaut », la fonction publique ne faisant plus rêver les « premiers de la classe ». Il est révolu le temps où les polytechniciens et autres diplômés des grandes écoles françaises recevaient leurs lettres de nomination à la fonction publique tunisienne à la fin de leurs cursus. La politisation des postes datant d'avant la révolution a tué l'excellence. L'impact est aujourd'hui visible à l'œil nu : coupures fréquentes d'eau et d'électricité, des chantiers d'infrastructure mal pilotés, réceptionnés aujourd'hui et déjà inopérants ou en maintenance quelques mois plus tard, des délais de traitement des dossiers des citoyens qui s'allongent, sans compter une corruption endémique.
Au fond, ce qui est en train de détruire le service public, c'est surtout la disparition du sens de l'Etat dans le comportement des fonctionnaires. Les dépassements sont rarement passibles de sanctions, ce qui a alimenté un large sentiment d'impunité. La discipline et le service au citoyen ont été supplantés par un corporatisme tenace et les obédiences politiques, capables d'obtenir l'absolution pour n'importe quel écart à n'importe quel niveau hiérarchique.
La détérioration des services de l'Etat est donc le fruit de deux phénomènes qui s'alimentent et s'amplifient l'un l'autre : l'incapacité des entreprises publiques à retenir et à développer leurs compétences humaines, et une culture d'entreprise excluant toute recevabilité (accountability) des agents publics. Eu égard à la qualité des services reçus, le citoyen a perdu et la confiance dans l'entreprise publique, et plus généralement dans cet Etat incapable de répondre aux exigences économiques et sociales, y compris certains services publics minimums.
Pour l'Ugtt et l'opinion publique, une privatisation de certaines entreprises publiques est synonyme de destruction d'emplois et de victoire des capitalistes assoiffés de profit, est-ce toujours vrai ?
L'Ugtt joue son rôle syndical de défense des salariés du service public. On ne peut pas le lui reprocher. Cependant, la fragilité des partis politiques et la faiblesse du système politique actuel, toujours incomplet de plusieurs instances constitutionnelles majeures, ont offert une large marge de manœuvre à l'Ugtt pour jouer un rôle plus «politique». Votre question reste néanmoins biaisée, car l'opinion publique n'est pas nécessairement favorable aux grèves à répétition et aux revendications salariales alors que le service public s'est fortement dégradé. Comment convaincre les masses silencieuses de Tunisiens victimes des files d'attente et de l'arbitraire bureaucratique que leur salut est aux mains des corporations syndicales ? Comment les convaincre que les augmentations des salaires dans la fonction publique et la hausse des taxes et autres impôts n'ont pas alimenté l'inflation des prix pour tous ? Plus concrètement, comment convaincre les usagers de la Sncft que le prochain train qu'ils vont prendre ne se couchera pas sur les voies ou ne sera pas victime d'une imprudence d'un salarié indélicat, mis au placard mais jamais sanctionné ? Qui va détruire les services publics : les privatisations ou les recrutements anarchiques, l'impunité, le corporatisme et la corruption ?
Soyons clairs, l'Etat est en très grande difficulté. Sa capacité à résister n'est pas illimitée. Les politiques budgétaires et monétaires sont mal coordonnées. Les réserves de devises sont — pour le moment — suffisantes pour payer des dettes extérieures et des importations (parfois superflues...), mais insuffisantes pour alimenter de vraies ambitions d'investissement public et de croissance durable. Le nombre de fonctionnaires est par ailleurs disproportionné par rapport à la taille de notre économie. Le statu quo nous mènerait droit dans le mur.
Un rapport d'assistance technique mené par le FMI et publié en mai 2016 sur l'évaluation de la transparence des finances publiques tunisiennes a mis en évidence plusieurs facettes de la réalité de la gestion des entreprises publiques. Nous découvrons, par exemple, que l'administration centrale est constituée de plus de 3.000 entités juridiques différentes dont le poids est estimé à 31% du PIB en 2013. On leur rajoute 93 entreprises publiques non financières qui pèsent, seules, 36% du PIB en 2013. Le rapport affirme que l'Etat ne dispose pas d'une remontée d'information financière suffisante et régulière pour constituer une vue consolidée fiable et exhaustive des actifs sous sa tutelle. Certaines entreprises publiques remontent leurs états financiers avec des retards (et des imprécisions) considérables. Il n'existe pas de véritable gestion des risques à l'échelle de l'Etat et le suivi des garanties données est insuffisant.
Nous avons besoin d'un Etat fort et stratège. Nous avons besoin d'un Etat capable et compétent. Nous avons besoin d'un Etat «locomotive» de l'économie et non pas «poids» pour les entreprises et l'initiative privée. Nous avons besoin de dépenser moins d'argent public à distribuer des salaires sans contrepartie. L'enjeu n'est pas l'existence de hordes de capitalistes déchaînés qui veulent désosser l'Etat par les privatisations. L'enjeu réel est que l'Etat est devenu un outil politique d'achat des consciences, payé par l'argent de tous les contribuables et par des dettes que les générations futures vont devoir payer à notre place.
J'aimerais écouter les propositions de l'Ugtt pour la réforme de la fonction publique, l'alignement des régimes de retraites, le sauvetage de la faillite de la Cnss, de la Cnrps, de la Cnam et de la Pharmacie centrale. Pour les autres entreprises publiques dont la présence dans le portefeuille d'investissement de l'Etat n'est pas stratégique, celles qui perdent de l'argent depuis des années, n'investissent pas et ne créent pas d'emplois, il faudrait regarder au cas par cas. L'intérêt général doit prévaloir sur tout autre intérêt. A condition, bien sûr, d'avoir les leaders politiques capables de le négocier ou de l'imposer...
Est-ce que la privatisation est une demande expressément formulée par les bailleurs de fonds internationaux lors des réunions? Y a-t-il une alternative à la privatisation des entreprises publiques ?
Les réformes que nous ne mènerons pas nous-mêmes, à notre rythme, vont nous être imposées et à une cadence insupportable. Le cas de la Grèce est éloquent en la matière. Et pourquoi nous seront-elles imposées ? Parce que nous avons dépensé de l'argent que nous n'avons pas dans des emplois qui ne rapportent rien, au prétexte que l'instant politique le nécessite. Le prix que nous paierons le voici : des dettes à n'en plus finir et une souveraineté nationale menacée de toutes parts. Imaginons, aujourd'hui, que les bailleurs de fonds décident de couper le robinet du crédit contre des réformes, que ferions-nous ?
Avec la crise politique actuelle, notre gouvernement signerait n'importe quel traité, n'importe quelle clause. Nous vendrons les joyaux de la couronne pièce par pièce pour sauver les carrières politiques, parce que nous voulions éviter la confrontation avec les corporations. Celui qui veut éviter la confrontation ne devrait ni être élu, ni gouverner.
Toujours est-il qu'avant de privatiser, nous devons restructurer et assainir des situations extrêmes parmi les entreprises publiques. Les trois grandes banques publiques sont toutes rentables après un full audit réussi, des gouvernances refondues et des transformations qui commencent à donner leurs fruits. Sans pression des bailleurs de fonds, l'aurions-nous fait ? J'en doute. L'étape d'après est de nous interroger sur la pertinence stratégique pour l'Etat à disposer de 12 participations publiques dans la moitié des banques commerciales du pays ?!


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