La famille tunisienne se réfère encore au modèle traditionnel et patriarcal, où la présence du père et « chef de famille » est dominatrice. Le forum de l'académie politique (Foap) a organisé, il y a deux semaines, une conférence portant sur « la monoparentalité ». A cette occasion, d'éminents intervenants, et spécialistes, étaient présents afin d'apporter une nouvelle appréhension de cette réalité sociale qui oscille encore entre marginalité et normalité. En Tunisie, la diffusion et l'usage des termes se rapportant à la monoparentalité se sont surtout répandus ces dernières années. Bien qu'elle soit la conséquence d'un veuvage, divorce ou séparation, elle demeure mal perçue et victime des stéréotypes sexistes. Pourtant, un parent élevant seul son enfant (ou ses enfants) n'est pas une réalité nouvelle. On assistait aux temps des guerres à l'absence des pères ou à leur mort. Les bouleversements relationnels et familiaux qui ont eu lieu à la fin du XXe siècle dans les sociétés occidentales, ont remis en question certaines définitions qu'on croyait immuables parmi lesquelles celle de la famille. La famille, un concept qu'on retrouve dans toutes les lois et législations nationales et internationales, surtout quand il s'agit de la protection des enfants, renvoie à l'importance de son existence, son encadrement et sa structure. Le constituant tunisien a jugé bon de préciser dans la Constitution de 2014, article 7, que « la famille est la cellule de base de la société et qu'il incombe à l'Etat de la protéger » et se réfère à la déclaration universelle des droits de l'Homme qui stipule que « la famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat ». Cependant, et comme l'ont rappelé et précisé la plupart des intervenants lors de la conférence organisée par la Foap sur le thème « la monoparentalité, réalité sociale et écueils juridiques », la famille tunisienne se réfère encore au modèle traditionnel et patriarcal, où la présence du père et « chef de famille » est dominatrice. Bien que la monoparentalité soit une réalité dans les sociétés occidentales, elle a encore du mal à s'imposer dans nos sociétés, surtout quand il s'agit d'une monoparentalité féminine et dans les zones rurales. La situation de la maman s'occupant seule de ses enfants va de pair avec sa précarité économique et surtout sociale. La révision du code du statut personnel : un impératif ? Pour Mme Sana Ben Achour, spécialiste de droit public et présidente de l'association Beity pour les mamans sans domicile, la monoparentalité vient rompre avec l'approche juridique binaire et classique pour qui « la parentalité » dans le cadre du mariage ou même de l'adoption (reconnue depuis 1958) se résume dans la notion d'autorité paternelle. Selon Mme Ben Achour, il n'existe pas qu'une seule forme de monoparentalité mais beaucoup. « Cependant, les études démontrent qu'elles touchent plus les femmes que les hommes avec, de surcroît, une précarité financière et sociale. Les causes sont connues, même si nous manquons de statistiques sur ce point. Mais généralement, ce sont la séparation, le divorce, le veuvage et la maternité célibataire ». Revenant sur certains textes législatifs et constitutionnels, Mme Ben Achour a déclaré que ces textes sont aujourd'hui dépassés et qu'une révision du contenu s'impose. « Le Code du statut personnel (CSP), promulgué en 1956, revêtait certes, de riches dispositions, mais aujourd'hui, les réalités ne sont plus les mêmes. Nous devons penser à de nouvelles dispositions». Elle a en outre révélé certains chiffres émis par l'association Beity qui a recueilli 107 mères célibataires en 2018 et 763, depuis sa création, fin 2012. « Entre 2013 et 2018, la monoparentalité a surtout émané des cas de divorce, soit 125 cas, de la séparation (qui peut être la conséquence de la migration, l'abandon ou de l'éloignement), du veuvage et du célibat ». L'association a notamment pu recenser, à partir des mères qu'elle a reçues, que 29 d'entre elles ont 1 enfant, 25 ont 2 enfants et 4 ont 5 enfants à leur charge. La monoparentalité : une réalité qui peine à être reconnue « L'association prend en charge ces mamans du fait qu'elles sont en général en précarité financière et sociale. On leur offre un logement, une aide sociale et financière mais l'aide étatique demeure encore très minime et ne peut subvenir aux besoins primaires de ces familles monoparentales. D'autre part, les parents, surtout dans les zones rurales, même s'ils finissent par accepter l'enfant de leur fille célibataire, leur demandent de partir loin du village. Car ces zones vivent encore sous les cieux de la tradition et de la domination patriarcale qui ne peut accepter un enfant « illégitime », né en dehors du cadre matrimonial ». Pour Mme Fathia Saïdi, sociologue et universitaire ; il est impératif que les centres de sondage effectuent des recensements officiels qui concernent le nombre de familles monoparentales et précisent les différentes difficultés auxquelles elles font face ainsi que les aides, à moyen terme, qui peuvent leur être portées. Elle a notamment mis l'accent sur le rôle des ministères et des organisations concernées. Au terme de cette conférence, différents témoignages et interventions ont révélé l'intérêt des personnes présentes mais aussi la libération de la parole face à ce phénomène qui peine encore à être accepté dans la société et à adhérer au champ des structures familiales reconnues.