Bénéficiant d'une formation juridique commerciale locale et internationale et organisationnelle, ex-cadre supérieur aux Ateliers mécaniques du Sahel (AMS), M.Ridha Chiba exerce actuellement le métier de conseiller en commerce international et de formateur auprès des institutions économiques et éducatives.Eu égard à la situation actuelle socioéconomique de la Tunisie très fragile, nous avons rencontré M.Ridha Chiba afin de nous proposer des solutions pouvant éventuellement résoudre les problèmes épineux qui frappent de plein fouet l'économie tunisienne. Dans cette interview, des solutions et des propositions pertinentes sont formulées pour faire face à la crise socioéconomique du pays. Comment voyez-vous la situation financière et économique actuelle du pays ? Tout d'abord, je constate que la situation socioéconomique en Tunisie est très critique en se basant sur certains critères, à savoir la dette de l'Etat vis-à-vis de l'extérieur qui a atteint plus de 70.000 MD soit plus de 70% du PIB. Celui-ci se définit comme étant la somme des valeurs ajoutées, additionnée à la TVA et aux droits et taxes sur les importations tout en retranchant les subventions sur les produits. En 2016, le PIB était de 42.000 MD. De plus, l'inflation avoisine actuellement les 8% et il y a lieu de remarquer qu'il existe divers niveaux d'inflation. Pour l'inflation qui ne dépasse pas les 2%, l'on peut parler de stabilité des prix. Mais l'inflation est dite rampante quand elle est comprise entre 3 et 4%. Elle est dite ouverte quand elle est comprise entre 5 et 10% et dite galopante quand elle est supérieure à 20% (hyper-inflation). Il faut aussi évoquer la dévaluation spectaculaire du dinar. L'euro, à fin août 2018, est équivalent à 3.223 D. Alors qu'en août 2017, il est équivalent à 2.892 D. De même, le taux du chômage a atteint actuellement le taux de 15,4%. Quant au déficit constaté au niveau de la balance commerciale, il est égal à 8.000 MD. En outre, le commerce parallèle a atteint actuellement le taux de 40% du PIB soit la somme de 40.000 MD. Aussi, faut-il remarquer que le taux directeur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) a enregistré une augmentation spectaculaire et a atteint le taux de 6,75 %. Tous ces chiffres, bien qu'ils soient le résultat d'un cumul de plusieurs années, révèlent que le pays est dans un état critique. Quelles sont les mesures que doit adopter le gouvernement pour assurer le salut économique? Il faut qu'il y ait des changements socioéconomiques qui vont de pair avec les intérêts de la majorité de la population. L'Etat doit concevoir et établir une stratégie cohérente et précise dans le temps pour planifier les différentes actions à entreprendre. L'Etat doit avoir une vision sociale globale pour améliorer les conditions de vie des citoyens et ne pas engloutir et enfoncer encore le clou au niveau de la classe moyenne (fonctionnaires et enseignants). L'Etat doit concevoir une politique de fiscalité fiable, équitable entre toutes les catégories et franges de la société et non pas réservée aux salariés dont les fonctionnaires, les enseignants, les employés, les médecins de la santé publique, les ingénieurs et les architectes exerçant dans le secteur public (retenue fiscale à la source). Aussi faut-il orienter l'enseignement supérieur et la recherche scientifique vers le marché de l'emploi. De ce fait, l'université doit être au service du marché de l'emploi c'est-à-dire que la formation universitaire doit aller de pair avec la stratégie socioéconomique du pays. En outre, l'Etat doit s'intéresser à tout ce qui est stratégique. A titre d'exemple, le bâtiment, qui est un secteur vital, est en fait la source de plusieurs créneaux d'emploi. Si, par exemple, l'Etat préconise l'édification d'un million de logements durant une période de 20 ans, il y aura une multiplication de nouveaux postes d'emploi dans divers domaines (menuiserie, quincaillerie, électricité, plomberie sanitaire,architecture, ingénierie). Comment résoudre le problème de l'employabilité chez les diplômés du supérieur? Les pays européens accordent une place importante au taux d'encadrement dans les entreprises (la part des cadres par rapport aux salariés), ce qui aboutit à l'amélioration de la productivité ainsi qu'à une meilleure organisation dans l'entreprise. A titre d'exemple, le taux d'encadrement au Royaume-Uni est actuellement de 20%. Celui d'Espagne est de 17,5% et celui de France est de 14%. La moyenne du taux d'encadrement au niveau de l'Union Européenne est de 15%, ce chiffre est trop loin de ce qui est appliqué en Tunisie. C'est pour cela qu'on propose d'augmenter ce taux d'encadrement dans les entreprises tunisiennes de 5% au moins, sans pour autant dépasser la moyenne européenne qui est de 15%. Cela permettrait de mettre un terme au chômage d'environ 262.000 chômeurs diplômés du supérieur recensés actuellement. La privatisation des entreprises publiques est-elle la solution adéquate pour améliorer la situation économique du pays? La privatisation des entreprises se fait par le biais de la Commission d'assainissement et de restructuration des entreprises à participation publique (Carep), instituée selon le décret N°97-410 du 21 février 1997. La Carep a cédé et vendu des entreprises publiques en deçà de leurs valeurs effectives d'autant plus que l'image de marque et la notoriété de ces entreprises ne peuvent être aucunement évaluées en argent. Quelles sont les causes de la détérioration financière des caisses nationales de sécurité sociale et les solutions envisageables pour remédier à cette situation? Concernant les causes de la détérioration financière de ces caisses, j'ai constaté que depuis les années 90, on a eu recours aux commissions de licenciement des employés pour pallier les difficultés économiques des entreprises. Ce qui a eu pour conséquence, le licenciement de milliers d'employés qui ont pris assez tôt leurs retraites (à partir de 50 ans). Ce qui a pesé lourd sur les caisses nationales pendant plusieurs années. De plus, la régularisation de la situation des centaines de bénéficiaires de l'amnistie générale de février 2011 a contribué au déficit budgétaire des caisses nationales de sécurité sociale. Pour remédier à la détérioration financière de ces caisses, l'Etat doit dresser un inventaire de toutes les sociétés et entreprises économiques afin d'assurer un contrôle strict pour savoir si les salariés dans ces entreprises sont couverts par la sécurité sociale. Quelles sont les solutions proposées pour améliorer la couverture de la balance commerciale, assurer son équilibre et résoudre le problème des importations et des exportations? Nous savons que l'Etat a signé plusieurs accords de partenariat avec plusieurs pays et organisations internationales. Toutefois, il faut que l'Etat rationalise les importations et ne procède qu'à l'importation des produits de nécessité absolue comme les médicaments et les matières premières. Il doit délaisser tous les produits considérés comme de luxe. De plus, l'Etat doit contrecarrer les importations sauvages et le dumping (le fait de vendre à un prix trop bas). Il doit lutter contre l'importation sauvage en amont au niveau des frontières et non en aval, après l'entrée des contrebandiers qui franchissent déjà les frontières. Au niveau des exportations, il faut penser surtout à améliorer la culture de l'exportation chez les promoteurs d'autant plus que 13% seulement des entreprises sont actuellement exportatrices malgré les incitations et les encouragements de l'Etat (Famex+). Pour réussir les exportations tunisiennes, il faut garantir des prix compétitifs et des produits fiables, créer des lignes de crédit par l'implantation de représentations de banques tunisiennes en Afrique. En ce qui concerne l'amélioration de l'image de marque des produits tunisiens, il faut entretenir des relations de partenariat avec des entreprises de renommée internationale afin que nos produits soient connus et demandés sur le marché international. Je tiens à souligner que dans le domaine de l'agroalimentaire, il faut améliorer les conditions d'emballage ainsi que la logistique. A cet effet, il faut créer des navires de ligne et éviter les transbordements (faire passer d'un navire, d'un avion, d'un train à un autre) surtout pour les marchés preneurs.