La rupture annoncée par BCE d'avec Ennahdha laisse à penser que peut-être le président Caïd Essebsi a-t-il décidé de rompre le « pacte de Paris », terre du consensus. Une rupture qui pourrait présager des tensions encore plus fortes sur la scène politique. D'autant qu'Ennahdha pourrait avoir analysé cette attitude comme une sorte de chantage pour l'amener à rééquilibrer son soutien à Youssef Chahed, d'où le débat énergique auquel on assiste au Conseil de la choura ce week-end. La crise politique actuelle a fini par opposer ouvertement le chef du gouvernement au président de la République. Le fait est qu'il semblerait à ce dernier que le chef du gouvernement — qu'il avait lui-même proposé aux signataires de l'Accord de Carthage — se devait de garder avec lui un contact pressant et une complicité sans faille. Ce raisonnement présidentialiste aurait pu être légitimé si, par ailleurs, le fonctionnement du parti présidentiel ne donnait pas l'impression d'être mû par des inspirations irrationnelles et des ambitions personnelles qui semblent couvertes par un parapluie au sommet. Même si tout le monde s'en défend énergiquement. Quant au chef du gouvernement, il en est arrivé à la conclusion que Nida Tounès est mal géré et que s'il continue à aller de défaite en désillusion, il allait ruiner ses chances futures ; d'autant que les prochaines élections se rapprochent à grands pas. La goutte qui a fait déborder le vase, c'est cette division tranchée des forces de Carthage 2 entre « favorables » et « défavorables » à Youssef Chahed. D'autant qu'Ennahdha, jusque-là protégée du président, était désormais du mauvais côté de la balance. Ce qui est perçu comme une désolidarisation. Le chef de l'Etat a, incontestablement, plusieurs cartes en main, mais ces scénarios possibles sont gardés secrets. Et l'on ne peut reprocher à personne de ne pas en tenir compte. Mais cela ne l'empêche pas de considérer qu'il est du devoir de tous les démocrates modernistes de lui faire totale confiance dans l'entreprise d' « équilibre politique » qu'il mène adroitement depuis 2012, mû par une détermination à confirmer et à consolider le choix de société qui est le nôtre, face au projet de l' « islam politique ». En effet, malgré la dégringolade électorale de Nida et toute la déconfiture que donne à observer le parti, de nombreux Tunisiens restent effectivement confiants en les stratégies de « Bejbouj » et pensent, que malgré les apparences, le président garde le contrôle de la situation. Il se trouve cependant que si c'est bien le destin qui détermine la longévité d'un exercice présidentiel, l'âge rappelle à l'ordre la plupart d'entre nous, même ceux qui sont absolument fidèles à l'homme de l'Appel du 26 janvier 2012. Or, quand quelqu'un songe à une éventuelle alternance, il est loisible qu'il ait en tête toutes les alternatives possibles. De sorte qu'il est, un tant soit peu, légitime de songer à appuyer le second de la mouvance moderniste, Youssef Chahed, au vu de sa popularité relative et même imaginer, pourquoi pas, qu'il puisse, un jour, succéder à Béji Caïd Essebsi. Pour qu'après Béji, ce ne soit justement pas le déluge. C'est bien vrai que le chef du gouvernement n'a pas derrière lui des décennies de pratique politique et qu'il ne peut rivaliser avec son mentor, mais lorsque l'on passe au crible fin le personnel politique moderniste, personne ne se présente, dans un casting virtuel, comme éligible au leadership national. Et c'est à ce niveau que l'on peut estimer comme recevable une pré-candidature de Youssef Chahed, le mieux placé des nidaïstes dans les sondages. Une pré-candidature qui serait d'autant plus évidente si BCE décidait de ne pas se représenter. Et pour ne rien arranger, la rupture annoncée par BCE d'avec Ennahdha laisse à penser que peut-être le président Caïd Essebsi a-t-il décidé de rompre le « pacte de Paris », terre du consensus. Une rupture qui pourrait présager des tensions encore plus fortes sur la scène politique. D'autant qu'Enahdha pourrait avoir analysé cette attitude comme une sorte de chantage pour l'amener à rééquilibrer son soutien à Youssef Chahed, d'où le débat énergique auquel on assiste au Conseil de la choura, ce week end. Surtout que les Watad du Front populaire ont lancé leur campagne contre la « police parallèle » qu'aurait montée Ennahdha. Nous sommes donc désormais à un carrefour fort délicat où se posent plusieurs questions. Si BCE a effectivement mis une sourdine sur ses soupçons à propos d'un tel réseau, il serait à l'index des puristes de son camp. Mais personne ne peut oublier que ledit pacte de Paris a, sans doute, évité au pays une véritable guerre civile qu'aurait alimenté des ingérences étrangères projihadistes. Se pose alors clairement la question de savoir si, quoi qu'il en soit, le président de la République est vraiment déterminé à aller jusqu'au bout dans « sa rupture totale » avec les islamistes. C'est-à-dire s'il songe à retirer le parapluie qu'il aurait offert à des faits peu reluisants attribués à la nébuleuse islamiste. Et s'il n'y a pas aujourd'hui le risque d'un retour à des scénarios anciens que le printemps arabe a concocté pour la Tunisie. D'où l'intérêt majeur de voir tous les acteurs politiques et socioprofessionnels entourer leurs positionnements actuels de toutes les précautions que la conjoncture nouvelle impose. Et que toutes les cartes soient abattues. A moins d'un revirement d'Ennahdha quant à son appui total à la « stabilité politique ».