Youssef Chahed a jeté, vendredi dernier, dans son interview accordée à la chaîne TV Attassiaâ, un pavé dans la mare: «Sihem Ben Sedrine a échoué dans sa mission à la tête de l'IVD. Le gouvernement lancera prochainement une initiative à même de rectifier les erreurs commises et d'instaurer une authentique réconciliation entre les Tunisiens». On se demande de quoi sera faite la justice transitionnelle post-IVD version Youssef Chahed, au cas, bien sûr, où son initiative aboutirait «Nous annoncerons bientôt une grande initiative visant à pallier l'échec de l'Instance vérité et dignité à instaurer la justice transitionnelle et à consacrer une véritable réconciliation nationale». Dans l'interview qu'il a accordée, vendredi dernier, à la chaîne TV Attassiaâ, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, n'est pas allé par quatre chemins pour dénoncer les pratiques de sédition et de division auxquelles a recouru, durant plus de quatre ans, Sihem Ben Sedrine, présidente controversée de l'Instance, pour aboutir à la conclusion suivante : l'IVD n'a fait que diviser les Tunisiens et les victimes qui attendent d'être dédommagées matériellement et moralement ne savant pas, à moins d'une semaine de l'expiration définitive de la mission de l'Instance (programmée pour le 31 décembre, date de la publication du rapport définitif de l'IVD), à qui s'adresser afin d'exiger leurs indemnisations. Quand ces indemnisations seront-elles versées et que pourront entreprendre les victimes au cas où le Fonds Al Karama pour la réhabilitation des victimes se déclarerait dans l'incapacité de les dédommager ? En d'autres termes, au bout de quatre ans et six mois d'activités, l'IVD n'a pas réussi à atteindre l'essentiel : indemniser les victimes qui en auraient exprimé la demande, réaliser la réconciliation nationale entre les victimes et les auteurs des violations et enfin élaborer une politique générale afin que les violations et les dépassements ne se reproduisent plus à l'avenir. Vendredi dernier, Youssef Chahed s'est aligné expressément du côté de ceux qui n'ont cessé de critiquer depuis le démarrage de l'action de l'IVD la gouvernance de Sihem Ben Sedrine pour parvenir à la conclusion suivante: il est impératif de rectifier les erreurs commises et faire en sorte que la justice transitionnelle parvienne à son ultime objectif relatif à la consécration de la réconciliation nationale. Sauf que le chef du gouvernement ne précise pas quelle forme prendra la consécration de la justice transitionnelle durant la période post-IVD. Y aura-t-il une nouvelle équipe qui sera élue pour pallier les erreurs du passé? Quel sort sera réservé au rapport final que soumettra l'IVD actuelle, fin décembre, aux trois présidences (Carthage, La Kasbah et Le Bardo), Youssef Chahed ayant l'obligation d'en exécuter le contenu, notamment les indemnisations, dans un délai ne devant pas dépasser une année au plus tard ? Ce qui revient à dire que les milliers de victimes (certaines parties parlent de 20 mille) doivent être indemnisées d'ici décembre 2019. Et quand on sait que le gouvernement a programmé dans le cadre de la loi de finances 2019 une enveloppe de 10 millions de dinars en vue des réparations, l'on se demande combien de victimes auront-elles la chance de toucher leurs indemnisations d'ici la fin de l'année prochaine. Une nouvelle instance ? Encore une question : au cas où l'initiative de Youssef Chahed porterait sur la création d'une nouvelle instance, le chef du gouvernement dispose-t-il des assurances nécessaires pour que son projet soit adopté par les députés au Parlement, notamment ceux du parti Ennahdha qui considèrent que l'IVD présidée par Sihem Ben Sédrine a accompli sa mission à la perfection ? Et les observateurs et analystes de s'interroger sur les mesures que va prendre le gouvernement en faveur des victimes en attendant que son initiative de rectification du processus de la justice transitionnelle prenne forme. La grande inconnue demeure, toutefois, la réaction des victimes dont une grande partie s'est déjà dressée contre les critères d'évaluation appliqués par l'IVD, considérant qu'ils ne leur rendent pas justice. En annonçant son initiative de reprendre éventuellement tout à zéro (rien n'est encore officiel et l'on ne peut pour le moment que prophétiser et avancer notre propre responsabilité), le chef du gouvernement qui se prépare à aborder une année décisive dans son propre parcours politique a-t-il mesuré les retombées que son projet pourrait provoquer aussi bien auprès des victimes qui ne peuvent plus attendre que du principal parti politique qui soutient leurs doléances, lequel parti est déjà en relation de partenariat avec La Kasbah ? En tout état de cause, on attend les réactions que la proposition du chef du gouvernement devrait provoquer auprès des principales parties concernées, en particulier l'IVD qui voit ses soutiens se rétrécir comme peau de chagrin, les victimes qui ne croient plus aux promesses en découvrant que certaines grosses têtes ont déjà mis la main sur le pactole promis (on parle de plusieurs centaines de millions de dinars encaissées par beaucoup de leaders qui se faisaient passer pour les chantres de la militance propre) et enfin auprès des Tunisiens qui attendent, eux, qu'on ferme définitivement les dossiers de compensation.