Le mandat de l'IVD prend fin au mois de mai 2018, mais la loi accorde à l'instance la possibilité de prolonger ce mandat d'une année. La décision ne sera prise qu'en février prochain. En attendant, le budget pour le reste de l'année est gelé. Au moment où la présidente de l'IVD défendait son budget à la commission, une foule de victimes de la dictature s'est amassée devant l'entrée du Parlement, demandant la mise à l'écart de la présidente de l'IVD. Pour certains, elle nuit au processus A l'occasion de la discussion du budget de l'Instance vérité et dignité (IVD) devant la commission des droits et libertés, la présidente de l'IVD a déploré le manque de coopération des autorités politiques dans la résolution des dossiers relatifs à la justice transitionnelle, ainsi que le black-out médiatique dont elle se dit victime depuis quelque temps. «Le chef du gouvernement a promis, il y a déjà un an, de nous recevoir afin d'essayer de trouver des solutions pour certains dossiers litigieux, mais il nous semble désormais que la justice transitionnelle ne figure pas à son agenda». «C'est comme si nous étions une association d'opposition», ajoute encore la présidente de l'IVD. Elle insiste également sur le manque de collaboration du ministère des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières, qui n'a donné une suite favorable qu'à un seul dossier de réconciliation sur plus de 6.000 dossiers liés à de la corruptions financière. «Et puis, comment allons-nous pouvoir mener à bien notre mission si l'accès aux documents et aux archives reste limité?», s'interroge-t-elle. Autre fait étrange, qui semble menacer le processus de justice transitionnelle, celui du refus catégorique du ministère de l'Intérieur d'accepter les demandes de réconciliation formulées par les victimes elles-mêmes. «Sur les 63 000 plaignants, 29 000 souhaitent une réconciliation avec les bourreaux, sauf que ce sont ces derniers qui la refusent», a-t-elle déclaré. Rapports non publiés Critiquée par la députée d'Ennahdha Yamina Zoghlami autour de la non-publication des rapports au Journal officiel comme le stipule la loi, la présidente de l'IVD a rappelé que c'est au gouvernement que revient le pouvoir de publication. Elle révèle notamment que le gouvernement et ses administrations font barrage à la publication des rapports. «Nous avons même été contraints de publier à nos frais notre rapport comme une annonce ordinaire, cela nous a coûté 9.000 dinars», dit-elle. Interpellée encore une fois par la députée Yamina Zoghlami sur le coût «faramineux» des séances d'auditions publiques (qui auraient dépassé les 500.000 dinars) et surtout sur le choix particulier d'une certaine agence de communication, la présidente de l'IVD a expliqué que ce choix s'est opéré conformément au manuel de procédure de l'Instance, après le lancement d'une consultation. «D'ailleurs, l'Isie, la présidence du gouvernement et les JCC ont fait appel à la même entreprise, et parfois à des coûts qui dépassent les 500.000 dinars», indique Sihem Ben Sedrine. Elle assure que les auditions confidentielles se poursuivront jusqu'au 30 courant (45.600 auditions effectuées jusque-là), tandis que les auditions publiques, elles, se poursuivront jusqu'à la fin du mandat. Le 24 novembre, l'IVD organise d'ailleurs une séance d'auditions publiques, autour cette fois d'événements survenus après la révolution, dits de «la chevrotine» à Siliana, en 2012. A l'époque, la police tunisienne a utilisé la chevrotine contre des manifestants qui demandaient emploi et développement (rappelons que le mandat de l'IVD porte sur la période s'étalant de 1955 à 2013). «L'objectif de ce que nous faisons est au final de réconcilier le citoyen avec l'Etat tunisien», déclare-t-elle, tout en appelant à la création d'une fondation à la fin du mandat de l'IVD, à laquelle seront transmis les travaux de l'Instance. Elle appelle également le gouvernement à accélérer la création du «fonds de la dignité» (fonds pour le dédommagement des victimes), afin que les bailleurs de fonds puissent l'alimenter. Un budget en suspens Pour 2018, le budget qu'est venue défendre une délégation de l'IVD s'élève à 8,322 MD dont 6,7 MD de masse salariale (l'IVD compte 580 employés temporaires). Cependant, le Parlement ne votera que les dépenses s'étalant du 1er janvier au 31 mai 2018. En effet, en théorie, le mandat de l'IVD prend fin au mois de mai, mais la loi accorde à l'Instance la possibilité de prolonger ce mandat d'une année. «La décision ne sera prise qu'en février, précise Sihem Ben Sedrine. Le budget pour le reste de l'année sera gelé, en attendant la décision». Les arguments de la délégation de l'IVD n'ont toutefois pas réussi à convaincre la nidaiste Wafa Makhlouf, qui a d'ores et déjà déclaré qu'elle ne votera pas ce budget, contrairement à son bloc parlementaire qui vote traditionnellement en faveur du budget de l'IVD. «Je ne suis pas du tout convaincue de la voie prise par la Justice transitionnelle», a-t-elle déclaré. De son côté, le député d'Ennahdha et ex-ministre des Droits de l'Homme et de la justice transitionnelle, Samir Dilou, a fait remarquer que les positions à propos de l'IVD restent entre courtoisie et préjugés. «La justice transitionnelle est nécessaire pour la Tunisie, c'est ce que certains semblent ne pas comprendre, lance-t-il. Et ce n'est pas la faute d'Ennahdha si les victimes du régime de Ben Ali étaient essentiellement des islamistes, qui, soit dit en passant, et contrairement aux allégations quotidiennes sur les plateaux de télévision, n'ont perçu aucune indemnisation». Aymen Aloui, deuxième rapporteur de la commission et député du Front populaire, a estimé que la justice transitionnelle est forcément une position entre les victimes et ceux qui n'ont pas intérêt à ce que le processus soit mené à son terme. Pour lui, l'IVD n'a même pas réussi à fédérer autour d'elle les bénéficiaires de la justice transitionnelle. Au moment où l'IVD défendait son budget à la commission, une foule de victimes de la dictature s'est amassée devant l'entrée du Parlement, demandant la mise à l'écart de la présidente de l'IVD. Pour certains, elle nuit au processus.