Icône de la chanson engagée arabe, Oumaïma El Khalil était l'invitée de la 2e rencontre de «Confidences de stars» à «Ibn-Rachiq». Retour sur son parcours et débat autour de l'art engagé en présence d'artistes, musiciens, poètes et de journalistes. C'est dans une ambiance conviviale et intimiste que s'est déroulée la 2e rencontre de «Confidences de stars» (Baouh El Noujoum) : le jeudi 20 décembre à la maison de la culture Ibn-Rachiq. Ce concept, initié par l'animatrice culturelle Arbia Zaâbi avec l'entière complicité de Sofiane El Gasmi, directeur de cet espace culturel, consiste à inviter de grands noms, voire des stars, du domaine des arts et de la culture et à susciter le débat autour de leur art et de leur parcours. Cela en présence d'artistes, de journalistes, de spécialistes du domaine et du public. Ainsi, après la première séance consacrée le 13 novembre au théâtre, c'est à «la chanson engagée et alternative» que la 2e rencontre a été réservée avec, pour invitée de marque, la grande artiste libanaise, Oumaïma El Khalil qui était parmi nous afin de participer à la fête du 8e anniversaire de la «Révolution» ayant ainsi donné deux concerts, le premier à la Cité de la culture et le second à Sidi Bouzid. Cette icône de la chanson engagée s'est illustrée depuis plus de 30 ans, dès l'âge de 18 ans, par son parcours engagé, notamment pour la cause palestinienne. Elle a chanté avec sa voix douce et aérienne, au sein de l'orchestre «El Mayadine» de Marcel Khalifa, des chansons «perles» qui resteront gravées dans la mémoire collective arabe. C'est qu'elle a chanté des paroles authentiques et valeureuses de poètes majeurs, tels Mahmoud Dérouiche, Badr Chaker El Sayyab, Talel Haider, Mohamed Abdallah, Hani Nadimi, Nizar Attia, Henry Zgheïb et tant d'autres… D'où des chansons aux airs prenants composées par plusieurs grands compositeurs dont Marcel Khalifa, Abboud Saadi, Basel Issam Haj Ali, ainsi que Henry Seblini, son époux et compagnon de route. Citons-en la touchante et poignante «Asfour tall min echabek», «Rassaïl», «Takabir», «Dilalona», «Dkikreyat», etc. Bref, c'est autour de ce riche itinéraire d'une artiste engagée ayant chanté la liberté, la justice, la Palestine, la paix, l'amour, la vie et la mort que s'est focalisé le débat animé par le journaliste Habib Jgham en présence de musiciens, de compositeurs et d'interprètes de la chanson engagée dont Anis Klibi, le magicien du violon, Lobna Noômane, «une comédienne qui chante» selon sa propre expression, Zakaria Kobbi, de membres de la troupe «El Hamaïm El Bidh» (Les Colombes), Yasser Jradi, Ihsan Laâribi, luthiste, Salah Guidet de la troupe «Oshak El watan», Halima Daoud comédienne. Etaient également présents des journalistes et animateurs dans diverses radios qui ont beaucoup contribué à la promotion de la chanson engagée dont Habib Belaïd de la chaîne internationale Rtci, Fatma Azouz, ancienne journaliste dans «la voix de l'Amérique», et Mohamed Ben Rjeb, une des plumes du quotidien «Essabah». «Je dois beaucoup à mon père et à Marcel Khalifa» «La voix de Oumaïma El Khalil n'a pas besoin de musique tant elle coule de source comme l'eau claire». Elle a cru en son talent et en ses capacités vocales. Elle doit beaucoup à son père qui l'a encouragée en l'inscrivant au conservatoire pour qu'elle puisse sculpter sa belle voix. Ainsi a présenté H. Jgham l'artiste libanaise qui s'est dite «honorée d'être en Tunisie tout en remerciant le public tunisien pour toute l'énergie positive qu'il lui a communiquée». Et d'ajouter que «les efforts de mon père n'ont pas été vains et je dois beaucoup à Marcel Khalifa qui a cru en moi et en ma voix». Cela, en remerciant, notamment, M. Belaïd «pour toute son action en faveur de la chanson engagée». Lequel, de son côté, a rappelé «qu'il a connu ce genre de chanson à l'âge de 20 ans, lors d'un voyage à Paris en 1976 en visitant une maison de disque «chant du monde», où il a découvert Cheïkh Imam, Marcel Khalifa, Hédi Guella. Impressionné par tous ces textes chantant la liberté, la justice, les valeurs des droits de l'Homme, il n'a cessé, depuis, de les diffuser dont notamment les chansons de M. Khalifa et Oumaïma El Khalil. Et d'ajouter : «Oumaïma a un projet culturel et jouit, de surcroît, d'une belle voix, d'une belle présence scénique outre qu'elle est animée d'une grande énergie». Remerciant la chaîne Rtci qui ne lui a jamais interdit de passer ce genre de chansons, il a rendu hommage à l'ancien directeur de la Radio nationale, le poète, homme de culture et écrivain Abdelaziz Kacem qui, dit-il, «est en avance sur son siècle car, malgré les réserves de certains de ses collègues, ne comprenant pas qu'on puisse passer des chansons en langue arabe sur une chaîne internationale en langue française, il m'a permis de diffuser ce genre de chansons en exigeant le seul critère de la qualité». Dans le même sens, O. El Khalil a évoqué l'aide importante des médias malgré la réticence de certains journalistes qui ont essayé de provoquer des différends, mais qui n'ont pas réussi dans leur manœuvre. Répondant à une question de l'animateur de la rencontre sur la domination de la chanson rétrograde dans le monde arabe, la chanteuse a répondu que «les médias arabes ont une grande responsabilité tant ils contribuent, en passant ce genre de chanson, à rabaisser le goût du public». Et d'ajouter : «Fort heureusement pour nous autres, Internet constitue une aubaine et une fenêtre pour nos œuvres». Or, justement, la chanson engagée n'a pas toujours brillé par des compositions créatives et innovantes, mais qu'on se contentait, pour certains, d'envelopper des textes politiques ou sociaux par des compositions basiques sans créativité. Approuvant ce constat, Oumeima El Khalil a précisé que «la chanson underground véhicule un texte sociopolitique dans une forme musicale pour le moins bâclée. Or, je suis pour une chanson à la structure claire, basée sur un texte, une musique et une interprétation de valeur, mais certains tombent dans la facilité et postent n'importe quoi sur les réseaux sociaux». Répondant à une question sur les influences musicales qui l'ont marquée, l'artiste cite les Rahabani, Feyrouz, Zaki Nassif, Ismahan, Mohamed Kasobji, Sayed Derouiche et surtout Riadh Sombati. Comment le théâtre peut-il apprivoiser les cœurs et drainer le public, à l'instar de la musique? A cette question de la comédienne Halima Daoued, l'invitée a répondu que «la musique pénètre plus facilement les cœurs et que le public arabe lassé des drames et tragédies, qu'il vit lui-même, éprouve une certaine réticence à aller au théâtre». L'art engagé, c'est aussi la qualité Prenant la parole, les musiciens, chanteurs et compositeurs présents, tels Anis Klibi, Lobna Noômane, Yasser Jradi, Faouzi Dabbour (producteur) ont évoqué leur attachement à la chanson engagée qui, selon eux, n'est pas seulement d'ordre politique. Car la musique instrumentale, l'interprétation du patrimoine et l'exigence de la qualité relèvent également de l'art engagé et alternatif. Et qu'il s'agit à force de persévérance et de sincérité de poursuivre dans ce chemin afin de créer un certain équilibre avec la musique et la chanson dominantes, d'autant que «la nature a horreur du vide», selon Lobna Noômane, interprète du patrimoine, mais qu'il «est aussi nécessaire d'être porteur d'un projet artistique», selon F. Dabbour. Enfin, concernant sa collaboration avec son époux Hani Seblini, Oumaïma El Khalil s'est confiée : «Après cinq ans de mariage, j'ai découvert que Hani était un magicien du piano, on a interprété ensemble «Zourouni» et je me suis dit qu'il faut qu'on travaille ensemble et c'est ainsi que j'ai connu plusieurs formes musicales: le blues, le jazz, le rock, le hip-hop. J'ai beaucoup aimé ce voyage dans des espaces musicaux nouveaux que nous avons réunis dans un nouvel album». Parmi les journalistes qui ont contribué à la promotion de la chanson engagée, Fatma Azouz a raconté comment en 1985, alors qu'elle travaillait au sein de la chaîne «La voix de l'Amérique», elle a convaincu son chef hiérarchique pour qui Marcel Khalifa était «un communiste» de couvrir le concert qu'il avait donné à Washington et que depuis, ses chansons passaient à l'antenne. «Je l'ai convaincu que, cet artiste était connu du monde entier et que s'il voulait capter l'attention du jeune public arabe, c'était là une belle occasion». De son côté, le journaliste Mohamed Ben Rjeb a, dans son intervention, rappelé que l'histoire de la chanson alternative, sous nos cieux, remonte aux années 30, puisqu'elle tire ses origines de la chanson humoristique. Citant l'exemple de l'humoriste Salah Khemissi emprisonné sous Bourguiba en raison d'une de ses chansons jugée politiquement incorrecte. Et d'ajouter : «Le mouvement national arabe «Ettalia» n'a pas touché uniquement la littérature, mais aussi la musique, le théâtre, la peinture». Samir Ayadi, qui en faisait partie, était dans les années 70, directeur de la maison de la culture Ibn-Rachiq, il avait programmé alors à la cave d'Ibn-Rachiq, durant toute une année, des chanteurs engagés, dont Hamadi Laâjimi, il avait également, programmé la chanson alternative tunisienne, égyptienne et libanaise au Festival international de Carthage bien avant les chaînes de radio», conclut-il. Ce débat intéressant et fructueux a été entrecoupé de chants et d'interprétations musicales, dans une ambiance jubilatoire du duo Anis Klibi-Zakaria Kobbi («Le violon en liberté»), de Lobna Noômane, Yasser Jradi et d'Oumaïma El Khalil qui a interprété, en apothéose, la touchante «Asfour tall man echabek». Cerise sur le gâteau : la chanteuse libanaise, à laquelle a été offert, à la Cité de la culture, le recueil de Abul Kacem Chebbi, a promis aux présents de chanter un des poèmes de notre poète national.