En raison d'une cour incomplète, le procès de Fayçal Baraket, mort sous la torture en octobre 1991, est encore une fois renvoyé à une date ultérieure. Une situation qui frustre famille, avocats et ONG parrainant ce dossier de violation grave des droits de l'Homme Après plus d'une heure d'attente, un des magistrats de la chambre spécialisée de Nabeul s'avance ce vendredi matin pour déclarer que l'audience consacrée à la victime Fayçal Baraket est reportée au mois de mars à cause de l'absence de la présidente de la cour, sortie récemment en congé. Un troisième report depuis que la chambre spécialisée en justice transitionnelle de Nabeul a entamé l'examen de cette affaire en juillet 2018. Un report qui révolte particulièrement Mokhtar Trifi, avocat de la partie civile, ainsi que toute l'équipe de l'Organisation mondiale contre la torture (Omct), qui s'est déplacée en force vendredi dernier au Tribunal de première instance de Nabeul. L'organisation parraine depuis pratiquement trente ans cette affaire emblématique d'homicide volontaire, d'agressions sexuelles, de torture, d'arrestation arbitraire, de séquestration et de falsification de document officiel. Une affaire déguisée en accident de voiture Fayçal Baraket, 25 ans, étudiant en mathématiques, était un membre actif du parti islamiste tunisien, non reconnu par le pouvoir de l'époque. Ses déclarations publiques contre le pouvoir de Ben Ali en mars 1991 lui valent une condamnation à une peine de six mois d'emprisonnement pour, entre autres chefs d'accusation, «appartenance à une organisation interdite ». Entré en clandestinité peu avant son procès, le jeune homme est interpellé le 8 octobre 1991, en compagnie de quatre de ses amis, par des membres de la brigade de recherche de la Garde nationale de Nabeul. Position du « poulet rôti », coups sur l'ensemble du corps, sodomie à l'aide d'un câble métallique, Fayçal Baraket subit six heures durant, au siège de la Garde nationale, les pires techniques de torture. Il décédera le jour même, sous les yeux des agents de la Garde nationale. Le 16 octobre, les autorités annoncent à ses parents que le corps de leur fils percuté par un chauffard anonyme a été retrouvé sur le bord de la route à Menzel Bouzelfa. La police livre le cercueil à l'occasion des funérailles sans permettre à la famille de l'ouvrir et contrôle une inhumation sous haute tension. Quelques jours après, Amnesty International reçoit une alerte indiquant que Fayçal Baraket était mort des suites d'ecchymoses et diverses lésions résultant d'actes de torture. Le 21 octobre 1991, l'organisation lance une action urgente pour réclamer une enquête sur la mort de cet homme et de cinq autres détenus et demande que les conclusions de cette enquête soient rendues publiques. En 1992, le Comité contre la torture (CAT) des Nations unies commence à suivre de près l'affaire 2013 : la dépouille est exhumée Jour après jour et année après année, Amnesty International, l'Organisation mondiale contre la torture, la famille de Fayçal Baraket et ses avocats réunissent toutes les preuves et toutes les pièces du dossier judiciaire : les déclarations de dizaines de témoins (au péril de leur vie), y compris celles de certains agents de police, les noms et adresses des tortionnaires, les détails sur les sévices infligés à la victime et même le premier rapport d'autopsie avant qu'il ne soit falsifié par les autorités avec la complicité de trois médecins légistes. Après la Révolution de janvier 2011, l'enquête progresse. En mars 2013, la dépouille de Fayçal Baraket est exhumée en présence de sa famille, de juges, de médecins légistes tunisiens, du médecin légiste britannique Derrik Pounder et de délégués d'Amnesty International. Ce nouvel examen révèle des éléments médico-légaux supplémentaires attestant les actes de torture. Si la justice ordinaire a laissé traîner l'affaire et qu'aucun mandat d'amener à l'encontre des quatre agents responsables des sévices pourtant émis en 2013 par le tribunal de Nabeul n'a été jusqu'ici exécuté, tout l'espoir de la famille Baraket se concentre sur la justice transitionnelle. Le 16 novembre 2016, Jamel Baraket, lui-même torturé et séquestré en 1991, et sa mère témoignent lors des premières auditions publiques de l'Instance vérité et dignité. « Nous voulons que les présumés responsables viennent étaler toute la vérité devant la Cour. Il faut que les tortionnaires viennent rendre compte de leurs crimes et non pas se renvoyer la balle comme ils tentent de le faire depuis le début. Comment pardonner et entamer un processus de réconciliation devant un tel déni ? », s'interroge Fayçal Baraket.