Quatre cents cas de torture ont été repérés en Tunisie Un quart du siècle déjà ! L'affaire Fayçal Baraket et Rachid Chammakhi, deux jeunes militants au sein du parti Ennahdha, alors interdit d'exercice à l'époque, torturés à mort dans les locaux de la police à Nabeul, refait aujourd'hui surface. L'histoire remonte à un certain 8 octobre 1991, où Baraket fut arrêté par la brigade de recherche et d'investigation de la garde nationale de la région pour être soumis à des sévices et supplices jusqu'à son dernier soupir. Chammakhi, son camarade, a connu le même sort. Face à l'injustice qu'elles éprouvent durement, au fil des jours, leurs familles, toujours endeuillées, n'ont pas lâché prise. Mais, en vain. C'est que tous les recours en justice tentés bien avant la révolution n'ont pas été suivis d'effet. Aujourd'hui, malgré la relance des procédures judiciaires, l'on ne voit rien venir. Les tortionnaires, pointés du doigt, courent toujours, dans l'impunité totale. Les faits ont été relatés, dans les moindres détails, lors d'une conférence de presse, tenue, hier à la Maison de l'avocat, à Bab Bnet à La Kasbah, avec pour intitulé «l'impunité persiste». A l'ouverture, Mme Saïda Akremi, secrétaire générale de l'Ordre national des avocats, n'a pas mâché ses mots, en lançant des critiques contre le fonctionnement de l'appareil judiciaire, non seulement du temps de Ben Ali, mais aussi à cette ère post- révolutionnaire. A ses dires, les scandales de la torture n'ont pas fini de défrayer la chronique et d'écorner l'image de nos magistrats. A défaut d'indépendance et d'impartialité, les dossiers y afférents n'ont pas abouti, alors qu'ils auraient dû être instruits et résolus. Vingt-cinq ans durant, les familles des victimes souffrent encore le martyre. Elles commémorent, en ces jours d'octobre 2016, l'anniversaire du décès de leurs enfants, Fayçal et Rachid, qui ont succombé sous les bottes de leurs tortionnaires. Maître Nabil Labbessi a évoqué, dans son intervention, les anomalies et les dépassements judiciaires gravement commis dans ce sens. Et d'en juger ainsi, les cas de Baraket et de Chammakhi sont des exemples flagrants de l'impunité qui continue de régner, sous nos cieux, dans les tristes couloirs de nos prisons. «Après 25 ans, les inculpés, alors accusés d'avoir les mains souillées, ne sont toujours pas arrêtés». Commémoration contre l'oubli La commémoration, aujourd'hui, de ce crime devant le Palais de Justice à Tunis semble révélatrice d'autant de significations malencontreuses. Aussi, est-elle porteuse de mauvais messages, certes non rassurants : la Tunisie post-révolution n'a pas honoré ses engagements à l'égard des protocoles conventions anti-torture et autres peines et traitements inhumains ou dégradants dont les articles 12 et 13 l'obligent à rendre justice aux justiciables. L'Etat veille à ce que « les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale, chaque fois qu'il y a acte de torture commis sur tout territoire sous sa juridiction», stipule l'article 12. Et comme les dossiers des deux victimes, affirme-t-il, sont complets et exhaustifs, il n'y a aucune raison de ne pas leur donner suite. Sauf qu'il y a anguille sous roche ! Surtout, assure-t-il, que la vérité des faits demeure ainsi confirmée, dénuée de tout soupçon. Le premier rapport d'autopsie du médecin légiste a été bien fondé, dans lequel tous les détails et analyses font, eux aussi, preuve de mort sous torture. Elle est sûre, à n'en point douter, conclut-il. Mais, à l'époque, cette réalité a été, alors, remise en cause par le pouvoir en place, a-t-il réaffirmé. Et maintenant, plus de cinq ans après la révolution, l'enquête fait encore du surplace. Seulement, mardi prochain, les familles concernées sont conviées par la justice pour les informer sur la décision de clôture de l'enquête. Campagne de mobilisation Jamel Baraket et Kacem Chammakhi, présents à la conférence, sont venus, eux aussi, livrer leurs témoignages sur les faits, non sans craintes de voir l'affaire renvoyée aux calendes grecques. Et là, Mme Akremi, se posant facilitatrice de la séance, intervient pour dire que l'impunité semble être la règle. M. Baraket a, ainsi, repris son souffle, pour dresser une liste de quatre complices jugés fort impliqués dans la mort de son frère Fayçal : « Abdelfattah El Adib, Mohamed Boukabbous, Abdelkarim Zammeli, ainsi que Mohsen Ben Noureddine qui sont de hauts cadres du ministère de l'Intérieur. Ces derniers font actuellement l'objet d'un mandat d'arrêt, mais sans être, jusque-là, appliqué». Ils ont, carrément, refusé d'être soumis à l'audition. Ils courent au grand jour, et sans gêne. M. Mohamed Mzem, conseiller juridique auprès de l'Organisation mondiale de lutte contre la torture (Omct), a montré, dans son allocution, les engagements et les observations face à la réalité. Et de lancer un chiffre assez préoccupant : « 400 cas de torture ont été enregistrés et dénoncés, sous nos cieux ». Et là, l'on se demande si le phénomène demeure méthodique ou pas. Pour le contrer, M. Lotfi Azzouz, directeur exécutif d'Amnesty International à Tunis, a annoncé qu'une vaste campagne de sensibilisation et de mobilisation aura lieu à partir de demain. L'objectif est double, rétablir la vérité et faire justice.