Le déséquilibre observé dans le secteur de la santé et cette médecine à double vitesse ont considérablement impacté l'équilibre social dans notre pays On ne parle que du secteur de la santé ces derniers temps, ou plutôt depuis cette descente aux enfers pour l'hôpital public tunisien. Une régression marquée notamment par la succession de scandales dont la pénurie des médicaments, l'affaire des stents périmés et, dernièrement, par le décès des nouveau-nés au centre de maternité et de néonatalogie à l'hôpital de La Rabta à Tunis. Mais tout le monde s'accorde à dire que le ministère de la Santé n'endosse pas à lui seul la responsabilité et qu'il ne faut pas non plus se cantonner dans une attitude d'auto flagellation. D'anciens ministres et des experts de la santé publique se sont penchés hier dans le cadre d'une conférence organisée aux Berges du lac par l'Institut tunisien des études stratégiques (Ites), sur l'état des lieux de ce secteur et les principaux changements qui urgent pour dépasser le cap du comportement apathique qui gangrène la relance du secteur de la santé. A cet effet, et suite à la réflexion approfondie sur l'avenir de l'hôpital public tenue en septembre 2018, l'Ites a consacré une seconde conférence sous l'intitulé « Dialogue national sur la santé ». Dire que ce secteur est en péril est une lapalissade. Aussi bien Néji Jelloul, directeur général de l'Ites, que les deux anciens ministres de la Santé, Abdellatif Mekki et Samira Merai, ont tous les trois confirmé cet état de fait lors de leurs interventions. Aujourd'hui, on ne pourra pas faire les choses dans les règles de l'art pour diverses raisons, non seulement dans le secteur de la santé mais dans tout le secteur public, avoue la majorité des intervenants dans le cadre de cette conférence. Le déséquilibre observé dans le secteur de la santé et cette médecine à double vitesse ont considérablement impacté l'équilibre social dans notre pays, souligne Neji Jalloul qui s'est attaqué frontalement à certains maux dont les tentatives de privatisation du secteur, le marché parallèle des médicaments et la succession de plusieurs ministres à la tête du ministère de la Santé en quelques années. Il préconise pour sortir de la crise un nouveau mode de gouvernance et la mise à la disposition des institutions hospitalières les ressources humaines et financières à même de juguler la fuite de nos compétences vers le privé et l'étranger. La prévention serait aussi un moyen bien efficace pour amortir les coûts des dépenses dans le secteur de la santé en termes d'hospitalisation, révèle le docteur Hédi Achouri. L'état de santé de la personne est tributaire de son comportement dans 43% des cas. Selon les statistiques publiées en 2016 par l'Institut national de la santé, 60% des jeunes âgés entre 15 et 17 ans souffrent d'obésité et 28,7% des adultes d'hyper-tension. Le taux des personnes diabétiques est de 15,5%. Dr Achouri considère qu'il faudra à court et moyen termes axer les efforts sur la prévention en vue d'amortir le coût des dépenses dans les phases d'hospitalisation, notamment en raison de l'augmentation de l'espérance de vie à la naissance dans le pays qui a été estimée à 75,4% en 2016. Travailler dans la santé publique relève du militantisme Le diagnostic est bien clair, a révélé l'étude de l'Ites sur les hôpitaux publics. Ces derniers souffrent de défaillances sur le plan organisationnel, alliées à un manque de management, en plus de l'insuffisance des moyens humains et financiers. Sans compter la crise économique, le manque d'investissement, la crise du financement, l'assurance-maladie, l'inadaptation des locaux, la régression des statuts des personnels, la pénurie des professionnels de la santé, la bureaucratisation et ce en dépit d'une politique nationale orientée vers la qualité et la performance. L'ancien ministre, Samira Marai, n'a pas hésité à qualifier le décès des nouveau-nés au centre de maternité et de néonatalogie de catastrophe sans mettre en cause le personnel de l'hôpital. Celui qui continue à travailler encore dans les établissements publics, dans les conditions que nous connaissons, doit être qualifié aujourd'hui de militant, a-t-elle fait savoir. Le secteur de la santé publique a longtemps constitué un fleuron des institutions dans le pays et il faut préserver cet acquis en dépit de la situation difficile qui prévaut, a ajouté Mme Marai. Il faudra aussi lutter contre la corruption via la mise en place de systèmes informatisés dans le secteur hospitalier avec ses trois niveaux de recours. L'Etat doit afficher une réelle volonté politique pour sauver le secteur de la santé et venir à bout de certaines carences en matière d'équité et d'efficience en lien avec la gestion. Il ne devrait pas avoir de place à une médecine à double vitesse, a-t-elle conclu. Dialogue sociétal pour la réforme du secteur Des points de vu partagés dans leur ensemble avec l'ancien ministre Abdellatif Mekki qui a appelé à redorer le blason de l'hôpital public. Il a toutefois reconnu que la situation actuelle dans laquelle s'est embourbé le secteur était prévisible en raison notamment de l'absence de réformes planifiées, de la corruption à un certain niveau et le corporatisme syndical dans certaines situations. L'ancien ministre a préconisé la restructuration du secteur, notamment au niveau des hôpitaux, la réforme de la Cnam, la révision des honoraires sur la base de la productivité, l'encouragement de l'industrie pharmaceutique, le développement de la coopération entre les deux secteurs public et privé et surtout la nomination, à la tête de ce ministère, d'un dirigeant qui sera « bien écouté» dans le gouvernement. De son côté, Mme Faïza Kéfi, ancienne ministre de l'Emploi et de l'Environnement et coordinatrice du dialogue sociétal pour la réforme du secteur de la santé, s'est attardée sur les phases de ce dialogue amorcé depuis 2012 et qui associe pour la première fois les citoyens d'une manière active dans le choix des politiques de la santé. Conçu en trois phases, ce processus participatif et inclusif et initié sous l'impulsion du ministère de la Santé, vise la mise en place de stratégies et plans de santé à l'horizon 2030. C'est-à-dire l'institutionnalisation de ce dialogue sociétal. Une conférence nationale sera organisée très prochainement dans le cadre de ce dialogue, a-t-elle annoncé, avant de conclure que le dialogue aboutira, indubitablement, à des solutions pérennes.