La situation dans la péninsule coréenne demeure tendue. Très tendue même. La tension est à son paroxysme et le pire est à craindre. Deux jours après les tirs d'artillerie nord-coréens contre l'ile sud-coréenne, Pyongyang et Séoul ont encore haussé le ton. Certes, il y a bien des appels au calme. Mais le tonnerre de la menace se fait plus entendre que les froufrous feutrés des conciliabules et invites d'apaisement. Séoul a déjà ordonné le déploiement de renforts militaires sur des îles proches de la Corée du Nord. En fait, la Corée du Sud n'en démord pas pour autant. Elle s'est dite déterminée à renforcer sa présence militaire sur l'île de Yeonpyeong où ont eu lieu les tirs du Nord. Pis, elle compte profiter des manœuvres navales conjointement avec les Etats-Unis d'Amérique en mer Jaune dès dimanche pour faire étalage de sa puissance de feu. De son côté, l'armée nord-coréenne a publié un communiqué dont les propos font craindre le pire : "La Corée du Nord déclenchera une deuxième et même une troisième salve d'attaques sans la moindre hésitation en cas de nouvelle provocation militaire inconsidérée de la part des bellicistes de Corée du Sud", y lit-on. Des deux côtés, le message est clair. Si les tirs de mardi ont provoqué la mort de deux soldats et deux civils sud-coréens, il n'en sera pas toujours ainsi. Déjà, en soi, ce bombardement est le plus lourd subi par la Corée du Sud depuis la fin de la guerre de Corée en 1953. La bombe à retardement coréenne menace la paix mondiale dans son ensemble. Et cette bombe peut s'avérer nucléaire. Rien n'est exclu. En vérité, les observateurs avertis s'attendaient à cette escalade. Ça devait arriver un jour ou l'autre. Les orientations et alliances respectives des deux régimes coréens sont si contradictoires et tranchées. D'un côté, un régime communiste pur et dur. La dernière sentinelle de Staline avec, pour principal allié, la Chine puissante limitrophe. De l'autre côté, les Américains jouent eux aussi des premiers violons dans ce concert antagonique. Cela dure depuis la fameuse guerre de Corée qui a eu lieu de 1950 à 1953. Les forces de la Corée du Nord communiste étaient alors soutenues par la République populaire de Chine et feu l'Union soviétique. La Corée du Sud était de son côté — et est toujours — sous profonde influence occidentale principalement américaine. Les troupes américaines s'y étaient pleinement investies et y avaient mordu la poussière. Elles s'y étaient "distinguées" par les frappes aériennes particulièrement meurtrières contre les populations civiles nord-coréennes, l'emploi massif d'armes chimiques et bactériologiques et l'utilisation abusive du napalm. Selon l'historien américain Bruce Cummings, les USA ont recouru au napalm en guerre de Corée sur une plus grande échelle que pendant la guerre du Vietnam. Les conséquences furent particulièrement ravageuses eu égard à la très grande concentration de la population coréenne Il y a deux ans, le général Walter Sharp, commandant des forces américaines en Corée du Sud, avait prononcé un discours devant la Chambre de commerce et d'industrie coréenne. Il y avait déclaré notamment que les soldats américains déployés en Corée du Sud étaient prêts à "combattre et gagner", et qu'ils avaient "déjà des plans opérationnels préparés afin d'être capables de répondre à toutes les éventualités". Le général Walter Sharp avait surenchéri que les étroites relations entre les troupes américaines et sud-coréennes seront maintenues au lendemain du transfert du contrôle opérationnel des troupes sud-coréennes en temps de guerre à la Corée du Sud en 2012. De son côté, la Chine observe avec attention les évolutions dans la péninsule coréenne. Toute déstabilisation y menace directement la sécurité chinoise. C'est pourquoi Pékin juge négativement les exercices militaires conjoints prévus dimanche entre les USA et la Corée du Sud. La Chine a fait savoir que lesdits exercices menacent sa sécurité ainsi que la stabilité régionale. Déjà, en août, la Chine avait estimé que l'envoi du porte-avions nucléaire George-Washington en mer Jaune était attentatoire aux relations sino-américaines à long terme. Les Sud-Coréens eux-mêmes en conviennent volontiers. Le quotidien sud-coréen Chosun Ilbo a ainsi écrit hier : "Si la Chine ne fait pas publiquement pression sur la Corée du Nord, les provocations nord-coréennes vont se poursuivre. Si la péninsule coréenne s'enflamme, c'est la prospérité chinoise qui en sera affectée". Stratégiquement, en arrière-fond, on décrypte bien le filigrane des profondes rivalités économiques américano-chinoises et américano-occidentales. C'est dire si le conflit intercoréen ne nourrit pas en sourdine toutes les ambitions et tous les sombres desseins non avoués. Dans un monde en crise et où les professionnels de la poigne tiennent le haut du pavé, rien n'est exclu. L'humanité semble toujours marcher sur le fil du rasoir et le pire est sérieusement à craindre.