• La galerie Aïn abrite depuis le 27 novembre, une exposition de groupe, réunissant différentes générations de plasticiens tunisiens. A l'occasion, neuf artistes ont investi les lieux pour nous livrer leurs imaginaires affectifs ou pour exprimer une conscience collective. Le rendez-vous se poursuit jusqu'au 16 décembre. «Une exposition rétrospective», au dire de notre hôte, le galeriste Mohamed Ayeb. L'idée est de faire une sorte de radiographie générale s'inscrivant dans les trente dernières années, des années 80 jusqu'à nos jours. Voir ce qui a été fait, inscrire l'évolution esthétique d'une pratique artistique tunisienne à travers le travail de ces neuf artistes. Peinture, gravure, céramique, tapisserie jusqu'à la photographie numérique, tout y est, reste à voir le fond! Commençons par les doyens du groupe, Fatma El Samet fait parler ses fils ou plutôt ses lignes tissées, elle décrit des paysages du quotidien (visages capsiens) à travers une palette pop aux couleurs criardes, quasi flashy. Les lignes s'entremêlent, se passant le mot, figurant un «horizon bleu» ou des «visages capsiens». Abdelhamid Thabouti, ancien des Beaux-Arts de Tunis (promotion 90) est graveur de formation. Il fait dans la nouvelle figuration et présente une picturalité du mouvement, du geste et de la touche. Une approche expressionniste pour nous évoque avec «fougue», sous les touches d'acrylique,tout simplement un moment de la journée («réveil matinal»), nous parler de «rencontre», plus passionné avec «vertige de la folie» et «échange et passion». A travers ses différentes toiles au traitement quasi identique, Thabouti agite la matière, la ponctuant de taches, de touches, de pointillés, la cerne, se dresse par moments et surgit de ce magma matériel comme pour rappeler la formation initiale de l'artiste. Transparence et opacité s'affrontent, libérant les figures passionnées. De la même génération, un autre graveur, Islam Hajrhouma qui nous présente un triptyque de gravures, «l'essor d'une âme», et deux peintures à l'huile. Son approche nous rappelle celle des expressionnistes allemands (comme Otto Dix). Il nous parle d'actualité, des ravages de la guerre (l'événement éberlué) et de la folie des grandeurs (l'exécrable fardé). A travers des tons et des lumières sombres et lugubres où les gris font la loi, des faces distordues, simulacres d'êtres, se détachent de la toile, ajoutant à la froideur et au sérieux de la thématique. Plus jeune est Chiraz Chouchen. Elle nous convie à ses extrapolations affectives à travers deux travaux «je(ux)graphie» (diptyque) et «U». Les couleurs (peinture ou papiers collés) sont organiques et semblent représenter une sorte de liquide ectoplasme ou quelques sécrétions biologiques des corps au crayon, gisant au centre de la toile (diptyque), sorte de dissections picturales ou de bio-graphie... Leïla Shili nous propose une palette acide et fraîche avec des couleurs criardes tantôt tenaces (opacité), tantôt effacées (transparence). Des taches épaisses s'enchevêtrent et s'emboîtent dans ce jeu de transparence pour nous emmener en plein «vertige de la folie» et nous présenter son «odalisque blonde». De la photographie avec Héla Ben Chikh qui se joue des paysages, les démontant et les montant au gré de ses spéculations. Jeux de miroir, projections et symétries qui font que les «chemins nous mènent nulle part» et accouchent de «pierres jumelles». Les séries de clichés de Hanen Gharsallah sont à la manière des popartistes et des nouveaux réalistes, nous rappelant le travail d'Arman. L'objet du quotidien(«pinces à linge» et «couverts») est à l'honneur; il est multiplié, se déployant en pluriel pour revêtir une nouvelle présence, un nouveau devenir plastique et pictural. D'autres artistes exposent, Amira M'timet (peinture et céramique) et Habiba Khalfallah (huile sur toile). Les travaux se juxtaposent, mais ne se ressemblent pas et d'une technique à une autre, on découvre un nouveau traitement de la toile, sous-tendant le seul point que ces artistes ont en commun : une esthétique de la nouvelle figuration.