Avec la mort de John William, c'est à la fois un symbole qui disparaît et une destinée extraordinaire qui s'achève. A 88 ans, le chanteur français d'origine ivoirienne laisse le souvenir de tubes émouvants mais aussi celui du premier Noir de la chanson française, même si, dans les faits, son père était blanc. Avant qu'il chante sa première note devant un micro, sa vie est déjà un roman effroyable et héroïque. Ernest Armand Huss est né en 1922 en Côte d'Ivoire, fils d'un colon alsacien et d'une Ivoirienne. A dix-huit mois, il est retiré à sa mère puis, à huit ans, envoyé chez une cousine dans un petit village en France. Il a dix-sept ans quand il entre comme ouvrier ajusteur aux usines Renault de Billancourt (où il sera employé en même temps qu'un autre futur chanteur, Georges Brassens). Réquisitionné dans une usine de matériel militaire travaillant pour les Allemands à Montluçon, il est mêlé à un sabotage réalisé par des agents de la Résistance. Arrêté et torturé par la Gestapo, il est déporté en mars 1944 au camp de concentration de Neuengamme. Il doit à ses compétences techniques d'être envoyé dans une usine d'armement où il travaille jusqu'à l'effondrement de l'Allemagne nazie. De retour à Paris au printemps 1945, il retrouve brièvement son père, qui meurt peu après, quelques années seulement après la disparition de sa mère, emportée par la rougeole. Il n'est pas question pour lui de retourner à l'usine. En déportation, il a trouvé un réconfort immense dans la foi chrétienne et dans le plaisir de chanter pour ses camarades de captivité. Il devient John William, profitant de la vogue du jazz dans la France libérée pour se produire dans les cabarets avec un répertoire de chansons américaines. Peu à peu, il fait son chemin dans le métier, devenant le passeur de répertoires, d'idées et même de réalités des Etats-Unis, comme avec Je suis un nègre, pour lequel il reçoit le Grand prix d'interprétation du festival de Deauville : "Je n'ai pas de métier et dans la ville/Je traîne mes long pieds las et dociles/J'ai trouvé le métro mais pas de p'tit boulot/Je suis un nègre". Il aligne les succès jusqu'au début des années 70: Le Voyageur sans étoile, La Chanson de Lara, Si toi aussi tu m'abandonnes, All Man River, Mon île au soleil, Vaya Con Dios, Day O… Adaptant gospels et negro spirituals en français ou en interprétant les génériques de films à succès, il compte à la fois parmi les quelques artistes qui, en France, témoignent avec force de leur foi chrétienne et parmi les plus efficaces propagandistes de la cause de l'antiracisme. Outre le reflux du grand music hall à la Yves Montand (avec qui il a une certaine parenté vocale, l'accent en moins), John William souffre paradoxalement de l'intérêt des nouvelles générations pour des artistes noirs américains, intérêt pour les versions originales qui rend moins utile son rôle de chanteur militant. Mais il chante jusqu'à l'aube de sa vieillesse : en 2005, il achève sa tournée d'adieux en Martinique. Et, pour des millions de francophones, il restera la première voix à avoir chanté la cause des Noirs.