Suite aux événements que connaît notre pays ces derniers jours, les artistes ont senti un besoin urgent de s'exprimer autant sur l'avenir du pays que sur celui de la création artistique. El Teatro leur a ouvert son espace, pour débattre et échanger des idées dans le sens d'aboutir à un manifeste, extrait de naissance d'un « Collectif d'artistes libres ». Entamé avant-hier et annoncé dans les médias, le débat s'est vu, hier, élargi à des citoyens de différentes catégories socio-professionnelles, venus répondre à l'appel, donner leurs avis en tant que Tunisiens, mais aussi, comme l'a dit l'un d'eux, en tant que consommateurs de l'art produit par leurs concitoyens. Le débat a pris plusieurs tournures, suite notamment à l'annonce du retrait de certains ministres du gouvernement de transition. Un avenir qui se dessine prudemment Dans un contexte de transition à tous les niveaux, les artistes rassemblés à El Teatro préparent l'avenir dans l'union, au sein du «Collectif d'artistes libres» auquel les rencontres, qui vont se poursuivre dans les prochains jours, sont supposées aboutir. Des inquiétudes, des interrogations, des analyses mais aussi des idées concrètes sont venues alimenter le débat introduit par Taoufik Jebali qui a lu un texte co-signé par des personnalités tunisiennes de toutes les disciplines, intitulé « Appel d'intellectuels tunisiens ». Le metteur en scène a également rappelé que l'objectif du collectif est de faire en sorte que les artistes soient présents dans le projet socioculturel du pays. Mohamed Osmane Kilani, étudiant et élève à El Teatro Studio, a proposé ce qui constitue, selon lui, des points essentiels pour la période à venir, comme la séparation entre l'Etat et la religion, des médias libres et éthiques ainsi que la liberté artistique. Quant à Moslah Kraïem, cinéaste, il est venu avec tout un projet qu'il a dit avoir présenté il y a quinze ans au ministère de la Culture, en vain. Ce projet définit un certain nombre d'objectifs que le ministère devrait promouvoir et qui sont, entre autres, de reconnaître le rôle de l'art dans la société, de défendre les artistes et leur liberté d'expression et de création en adoptant des mesures concrètes et une législation appropriée, d'introduire l'éveil artistique dans l'enseignement et de bannir les commissions de censure. Une autre cinéaste, Sarra Abidi, a enchaîné, affirmant que «ce n'est pas la priorité». Elle s'est basée sur l'exemple des attaques personnelles qu'a subies Moufida Tlatli, notamment dans les réseaux sociaux, suite à sa nomination comme ministre de la Culture dans le gouvernement de transition, pour argumenter son opinion en faveur d'un état laïque. «Même si, en tant qu'artiste, Moufida Tlatli ne me représente pas, ce qui lui arrive est bien la preuve qu'il faut instaurer la laïcité pour que nous puissions créer en toute liberté, comment il faut passer d'un système présidentiel à un système parlementaire», dit-elle. Arrêter l'état d'euphorie et arrêter de partir dans tous les sens est l'avis émis par le jeune chanteur underground Bayrem Kilani, connu sous le nom de Bendir Man, qui a également stipulé que le rôle des artistes en ce moment est d'appeler les gens au calme en affirmant que «la question urgente est une question de citoyenneté et non pas de politique». Avant de donner la parole à d'autres voix, et parmi les derniers intervenants à s'être exprimés, Zeineb Farhat a proposé d'augmenter le budget des maisons de la culture et de permettre aux artistes de les exploiter en tant qu'espaces de création. Enfin, Lamine Nahdi pense quant à lui qu'il est important de répartir les tâches et que chacun fasse son travail, pour gagner du temps et pour que les projets d'avenir soient plus efficaces. Un projet collectif et citoyen Les citoyens qui ont répondu à l'appel d'El Teatro se sont eux aussi exprimés. Faten Khamassi, universitaire, a demandé que l'on n'anticipe pas sur les réformes et sur les rêves d'avenir, vu que la réalité nous met dans une situation délicate. «Aujourd'hui, dit-elle, nous sommes loin de dire que nous sommes devenus libres». Et d'ajouter : «Tout va se jouer dans l'avenir. Il faut donner une chance au gouvernement de transition et aux élections de décider». Le même avis a été porté par le jeune médecin Youssef Halawi, surtout que la loi de l'élection est sur le point d'être modifiée. Il ajoute que l'état de psychose dans lequel nous nous trouvons est normal et passager mais il faut profiter des idées communes comme de la diversité. Architecte de formation, Hamza Atallah pense qu'il faut, dans la gestion de la situation actuelle, définir des lignes rouges à ne pas dépasser, pour sauver le pays. La période de transition est un moment jugé critique et crucial par un grand nombre des participants au débat. Hamza, étudiant, préfère que les gens s'expriment pendant les élections. Il appelle les artistes à s'adresser à leurs concitoyens vu l'influence qu'ils peuvent avoir. Pour Skander Handous, ingénieur, une étape de transition est un passage obligé pour changer les choses. Que chacun fasse son métier est, selon lui, le moyen pour que ça ne parte pas dans tous les sens, mais aussi que l'on veille à éduquer et à encadrer la masse. Autrement dit, que l'art joue son rôle dans le fait d'amener les gens à se poser des questions. Haithem Ben Farhat, enseignant aux Beaux- arts, a à son tour souligné le rôle des artistes mais aussi le rôle des médias et des journalistes dans la vérification et la diffusion de l'information, surtout dans le contexte actuel. De quoi ouvrir des brèches sur d'autres sujets d'avenir pour notre pays. En attendant, pour les artistes et les invités d'El Teatro, le débat continue…