Par M'hamed JAIBI Depuis l'indépendance nationale, notre système politique a toujours péché par un excès de déséquilibre en faveur d'un parti hégémonique instrumentalisé par une présidence de la République omnipotente. Le régime présidentialiste qui caractérise la Constitution de 1959 n'a cessé, en effet, plus particulièrement suite à la réforme de 1988, d'accentuer la mainmise de l'exécutif et du chef de l'Etat au détriment du législatif et du gouvernement. Un gouvernement non révocable par le Parlement et sans pouvoirs réels. Toutes ces faiblesses invitent à réfléchir à une réforme en profondeur qui sache, à la fois, rééquilibrer la Constitution et l'échiquier politique. Rétablir l'équilibre au niveau de la Constitution entre les prérogatives du pouvoir exécutif et celles du pouvoir législatif, en établissant entre eux un contrôle mutuel et divers recours institutionnels. Et veiller à orienter l'architecture de l'échiquier politique conformément à un ancrage solide du pluripartisme et à une représentation des couches sociales et des courants de pensée qui sache confirmer et consolider les options centristes que la Tunisie a fait siennes depuis la nomination, en 1970, de M. Hédi Nouira à la tête du gouvernement. Aujourd'hui, notre échiquier politique souffre d'un grand vide au centre, qu'il est urgent de combler. Ce vide doit permettre la fondation de deux ou trois partis dans les sensibilités de la social-démocratie, qui peuvent être teintés de nuances en référence à d'autres inspirations propres aux aspirations du monde arabo-musulman ou au devenir maghrébin de notre chère Tunisie. La place qu'occupe la classe moyenne dans notre pays est une des donnes stratégiques dont il s'agit de tenir compte lors de l'élaboration des réformes. Cette frange importante était investie par le PSD puis par le RCD. Avec le probable démantèlement de ce parti ou sa réduction à sa plus simple expression, divers courants de pensée auront le loisir de s'organiser et de faire valoir leurs projets pour l'avenir du pays. Depuis la mise en pratique du programme d'ajustement structurel en 1986, la Tunisie a franchi d'importantes étapes dans l'enracinement de l'initiative en matière d'investissement et de création d'entreprises. Certes, cette construction d'une économie libérale à dimension sociale a été parasitée par la mafia familiale du président déchu, qui en a détourné le potentiel à son profit et qui en a miné l'épanouissement, mais les perspectives de prospérité que cette voie a laissé entrevoir constituent aujourd'hui une aspiration à large retentissement populaire. A la condition que les régions soient décisivement associées à cette quête et que la croissance soit en mesure de résorber de manière effective la demande additionnelle d'emploi générée. Cette voie libérale sociale mérite de voir éclore diverses expressions politiques qui en nuanceraient les options et en moduleraient le devenir au sein de la société politique. Reste à sculpter le système politique le plus conforme, aujourd'hui, aux aspirations et aux intérêts des Tunisiens. Le système présidentialiste en place, couplé à un parti tentaculaire embrigadant le peuple, a fait par deux fois la preuve de son inadéquation. Mais s'agit-il de le réformer en en préservant le caractère présidentiel ou de le supplanter par un modèle parlementaire ? Quoi qu'il en soit, il serait plus sage d'élargir le débat et de s'attacher, en attendant, au respect de la Constitution en place, jusqu'à l'élection d'un président de la République qui soit représentatif des aspirations du peuple tunisien qu'a si bien cristallisées la Révolution du 14 janvier. Car que ce soit à travers des réformes de fond ou par le biais d'une nouvelle Constitution, la réflexion doit se donner le temps qu'il faut et élargir au maximum le consensus sur la nature du système politique que nous voulons.