Par M'hamed JAIBI Le tour que prennent les événements dans notre pays invite à clarifier les divers questionnements utiles, s'agissant notamment du cadre constitutionnel et de la conduite des réformes fondamentales de nature à instaurer un nouveau régime politique, en totale rupture avec le système autocratique totalitaire de parti unique déguisé, imposé par Ben Ali durant plus de 23 ans. Un Ben Ali qui tenait en main, grâce au chantage, à l'oppression, à l'écoute téléphonique et à différentes polices encadrant fermement la société, tous les Tunisiens presque sans exception. A part un petit nombre de radicaux qui n'ont toutefois pas réussi à faire bouger le peuple de manière décisive, tels Sihem Ben Sédrine, Radhia Nasraoui, Mokhtar Trifi, Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaâfar, Mohamed Abbou, Khemaïs Chamari, Ali Laâridh, Taoufik Jebali, Zied Daoulatli, Hamma Hammami… Il s'agit aujourd'hui de bâtir un système politique conforme aux revendications de la révolution populaire. Un système de libre expression et de démocratie pluraliste effective qui sache écarter définitivement le pouvoir personnel et la dictature. Mais, pour construire, il faut organiser le débat et mettre en place des balises consensuelles permettant à toutes les tendances de s'exprimer et de se faire connaître de l'opinion publique, tout en donnant leur avis sur le processus devant conduire à la démocratie républicaine de souveraineté populaire dont rêvent les Tunisiens. D'où la question : quelle Constitution pour quelle Révolution ? Appeler aujourd'hui à déclarer la Constitution inopérante présente, à ce niveau, le risque de déclarer le pays sans cadre légal au sein duquel pourrait être conduit le changement révolutionnaire. Par contre, accepter de rester dans le cadre de la Constitution et de mener le changement, sur le plan formel, conformément aux dispositions relatives à la vacance définitive de pouvoir au niveau de la présidence de la République, permet d'assurer une continuité des institutions essentielles de l'Etat jusqu'à l'organisation d'élections libres, pluralistes et démocratiques, sur la base d'une révision fondamentale du code électoral opérée par la Chambre des Députés de l'ancien régime sous la pression de la rue et de l'opinion publique, en cet instant révolutionnaire que vit le pays. La Constitution en place, bien qu'elle soit présidentialiste et qu'elle mette le pouvoir législatif sous la coupe de l'exécutif, permet de doter le pays d'un président de la République élu démocratiquement. Certains opposants considèrent que la Constitution actuelle ne permet pas à tout le monde de se porter candidat aux élections présidentielles. En fait, le texte constitutionnel exige de toute candidature d'être appuyée par un «certain nombre» de députés ou de présidents de municipalités. Nombre qui est fixé à 30 par le code électoral actuel. La nécessaire réforme de ce code dans le sens de la garantie de scrutins transparents et réguliers, de bureaux de vote neutres et indépendants, ainsi que de campagnes électorales vraiment démocratiques, peut très bien fixer à seulement un ou deux élus les signatures appuyant chaque candidature à la présidence de la République. Cette signature (ou ces deux signatures) pouvant être apposées par Foued Mebazaâ et un autre député parmi les membres du gouvernement d'union nationale en place qui s'engageraient à cela publiquement dès aujourd'hui… Refuser le cadre de la Constitution actuelle, c'est appeler, comme le font certains courants et un certain nombre de constitutionnalistes, pourtant disciples de M. Iyadh Ben Achour, à la mise en place immédiate d'une nouvelle Constitution, ce qui nécessiterait l'élection d'une Assemblée constituante. La question se pose ici de savoir comment va-t-on procéder à l'élection d'une telle assemblée, alors que cette éventualité romprait avec toute référence à la Constitution et s'inscrirait dans un vide juridique total. A moins de voir un certain nombre de juristes et de politiques s'ériger en rédacteurs d'une nouvelle Constitution en dehors de tout arbitrage de la part du suffrage populaire. Le débat est ouvert.