Par Soufiane Ben Farhat La question des statistiques est au cœur de l'enjeu démocratique. Elémentaire mon cher Watson ! Et pourtant, ce n'est guère si évident chez nous. La Presse en a bien illustré la tragique teneur dans son édition de dimanche dernier. Qu'on en juge : "Le directeur général (de l'Observatoire national de la jeunesse) a bien voulu rétablir certaines vérités qui ont été jusqu'ici soigneusement dissimulées au public. Premier chiffre caché à Monsieur-tout-le-monde : le taux de chômage chez les jeunes âgés de 18 à 29 ans a atteint 29,8% en 2009, il était de 24% en 2004, alors qu'on parle d'un taux de chômage général qui ne dépasse pas les 14% en Tunisie. Ce taux s'avère particulièrement très élevé chez les diplômés de l'enseignement supérieur atteignant....44,9%, alors que le chiffre cité officiellement fait état uniquement de 22,5% de chômeurs parmi les diplômés de l'enseignement supérieur à l'échelle nationale. Un taux, qui a quasiment doublé en dix ans, passant de 22,1% en 1999 à 44,9% en 2009" (La Presse du 6 février 2011, Jeunesse- Ces chiffres qu'on ne nous a jamais révélés). Si cela peut consoler certains, il est utile de rappeler que cette aberration caractérisée n'est pas l'apanage des seuls hauts responsables tunisiens. La crise grecque a en fait mis à nu les tristement célèbres prouesses hellènes en la matière. Les révisions successives des données budgétaires de la Grèce avaient pointé du doigt la crédibilité du système statistique tant de la Grèce que de l'UE. On releva les déficiences dans les systèmes de comptabilité des administrations publiques et des entreprises grecques, ainsi que dans le système statistique. Cela était tellement préoccupant que le Conseil européen a adopté, en mai 2010, un plan d'action touchant la gouvernance et les statistiques de la Grèce. En Tunisie, il est vrai, ce ne sont pas les bons statisticiens qui manquent. Ici comme ailleurs, nos cadres et techniciens font montre d'une expertise et d'un savoir-faire à toute épreuve. C'est plutôt l'usage que font les politiciens de ces statistiques qui est en cause. Comme le disait Bernanos, le scandale, ce n'est pas de cacher la vérité, mais de ne pas la dire tout entière. Sous nos cieux, les pouvoirs ont pris le mauvais pli de ne pas dire ne fût-ce qu'une demi-vérité. Cela autorise les attitudes et pratiques les plus véreuses. Comme certaines instances de sondages qui livrent clés-en-main des chiffres taillés sur mesure. Leur unique souci consiste à réconforter la fausse image commandée en sous-main par les bénéficiaires des pics illusoires desdits sondages. Et cela embrasse tant l'audimat inventé que les images de marque fictives de certaines personnalités et institutions. Résultat : tout est biaisé. Ou presque. Ce qui est du pareil au même. Ça ne manque d'ailleurs pas de rappeler le proverbe populaire instruisant le ridicule tragi-comique du loup citant sa propre queue comme témoin. Le mensonge brodé à l'infini enfante une réalité fictive. Laquelle induit une cécité politique désastreuse. A force de caresser un cercle, il devient vicieux. Et à force de mentir à l'opinion, les pouvoirs en arrivent à substituer l'illusion à la réalité. La dialectique tordue de l'être et du paraître est au cœur de notre discours politique ambiant. Y parer au plus pressé présuppose une économie rigoureuse du vrai et du faux. Autrement, la crise de crédibilité des personnes et des institutions débouchera sur un refus généralisé de tout pouvoir, de toute autorité, fût-elle référentielle, et, bien pis, de toute discipline. Aujourd'hui même, on le voit bien. Les Tunisiens, saignés à blanc par le manque d'informations fiables, les fausses vérités et les vraies rumeurs, en arrivent à ne plus croire en rien. D'où ces attitudes et promptitudes quasi nihilistes de refus à tout vent. Dégage‑!