Après notre article «Qu'est devenue Carthage» paru sur ces colonnes, le 28 janvier dernier, nous revenons sur le sujet et sur les innombrables objets archéologiques qui ont été dérobés et rassemblés dans des maisons appartenant à l'ancienne famille régnante. Le trafic des pièces archéologiques est devenu, en effet, une activité fructueuse au profit des membres de la famille Trabelsi… Le trafic avait fait, dans les années 90, l'objet d'une guerre de clans de trafiquants entre des membres d'une famille connue pour ce genre d'activité et les Trabelsi. Ces derniers ont fini par avoir le dessus en éliminant les premiers et tous les éléments qui en faisaient partie… les rabatteurs et les vendeurs locaux surtout de Carthage, de la région de Kairouan, de Sousse, de Kasserine et d'El Jem. Cette élimination a été réalisée à travers des jugements condamnant les rabatteurs et les petits trafiquants arrêtés. L'instruction de ces délits fut préparée, pour une fois d'une manière technique, utilisant les moyens modernes (photographies téléphoniques…) et l'assistance de la police «Interpol» qui ont abouti, depuis l'arrivée de trafiquants anglais à l'aéroport de Tunis-Carthage à identifier les opérateurs étrangers d'origine irakienne travaillant pour des grands commerçants d'antiquités, de Londres surtout. Le piège dressé par une cellule spéciale de la Garde nationale de lutte contre le trafic des produits archéologiques et autres a été fructueux. Le contact tunisien de ces trafiquants irako-anglais a accueilli le groupe et l'a accompagné sur le parcours Kairouan, Kasserine, El Jem… L'identification des opérateurs impliqués a été réalisée et a permis de reconnaître ceux qui furent contactés. Aucun chercheur, aucun administrateur du patrimoine ne fut impliqué dans le trafic. Ceux qui furent réellement impliqués sont des contremaîtres des gardiens de sites archéologiques, comme celui de Makthar ou de commerçants d'objets archéologiques de Carthage, des régions d'El Jem ou des environs de Kairouan dont plusieurs furent arrêtés. Une instruction à leur égard fut ouverte. Certains ont été libérés, d'autres ont été maintenus en détention. Les objets saisis ont concerné des pièces de monnaie romaines ou byzantines, des éléments architectoniques colonnes, frises, épigraphies… Des sculptures sous forme de buste ou des sculptures acéphales… des éléments de mosaïque romaine, etc. Ces pièces saisies ne sont que quelques éléments qui ressemblent à un iceberg dont la partie immergée est la plus importante et qui est restée cachée. Juste au moment où l'on a découvert le trafic «anglais», des milliers de pièces de toutes les époques de notre histoire ont été transférées à l'étranger, acheminées par le clan Trabelsi et vendues très cher. Les mosaïques romaines ont également disparu après avoir été découvertes grâce à des fouilles clandestines ou fortuites réalisées par des chercheurs de trésors… Ces mosaïques figuratives, quelquefois très suggestives, à seins nus ou géométriques, ont été également vendues. D'autres de la période coloniale ont disparu de l'Office de cartographie et de topographie à Lafayette ainsi que celle de la maison de la culture Ibn-Khaldoun. Des stèles romaines (latines), des sculptures en buste ou en rond de bosse, des sculptures complètes ou acéphales furent vendues. Des milliers de pièces comme des lampes de toutes les époques furent acheminées elles aussi à l'étranger. Les objets de la période coloniale connurent un succès auprès des trafiquants tout comme toutes les sculptures en fonte ou à valeur liturgique. Des réalisations également en céramique comme celle de la fresque de l'ex-restaurant «Le Bagdad» sur l'avenue Habib-Bourguiba et signée Chemla qui a pris le chemin des USA. La peinture coloniale ou orientaliste a subi le même traitement de vol et de vente dans les cabinets et salles d'enchères françaises et européennes. Des tableaux de Roubtzoff, de Yahia Turki, de Ammar Farhat, etc. ont été subtilisés de la collection nationale et vendus par des spécialistes du trafic, d'œuvres d'art authentiques et…fausses. Voilà une idée de ce que notre patrimoine a subi comme vol et destruction. Il reste que ce trafic n'est pas destiné au marché national, mais essentiellement dirigé vers le marché international, souvent «gourmand» en objets autant antiques que contemporains. Si, pendant les années 90, les produits en question sortaient de Tunisie (Hammamet, surtout) par voie maritime et les hors-bords, à partir du début du nouveau siècle, ils regagnaient l'Europe surtout par voie aérienne. Les trafiquants pouvaient réaliser leur «commerce», puisqu'ils étaient au-dessus des lois et disposaient d'avions que personne ne contrôlait. Voilà une idée sur une partie de ce qu'a subi notre patrimoine qu'il s'agit désormais de préserver, de mettre en valeur, tout en essayant de récupérer ce qu'on peut recouvrer.