Par Mohamed Ridha BOUGUERRA «No passaran», «Ils ne passeront pas», fut, entre 1936 et 1939, le mot d'ordre des Républicains espagnols dans leur lutte armée contre les fascistes des Phalanges du général Franco de triste mémoire. Nous devrions adopter aujourd'hui ce mot d'ordre et le faire nôtre. Nous aussi nous devons, en effet, affronter ceux qui cherchent à faire avorter notre Révolution de la dignité et leur barrer le chemin. Il ne fait plus de doute aucun que la Tunisie née du mouvement du 14 janvier est actuellement l'objet d'un complot qui se traduit sur le terrain par des moyens multiples et chaque jour différents. M. Mohamed Ghannouchi, Premier ministre démissionnaire, devait avoir suffisamment d'éléments pour y faire allusion dans son intervention de dimanche 27 février. Pour ceux qui doutent encore de l'existence de ce complot, la preuve nous a été apportée par les scènes de guérilla urbaine qui ont eu pour cadre le centre ville vendredi 25 et, davantage encore, samedi 26 et dimanche 27 février, ainsi que par les événements concomitants de Kasserine. Ajoutons à cela les nombreuses tentatives d'empêcher le déroulement normal des cours dans nos collèges et lycées ; le sabotage du tissu économique et industriel par l'incendie d'usines comme cela fut le cas lundi 28 à Ben-Arous; la volonté d'empêcher par la force les réunions politiques dans des enceintes fermées comme le dirigeant d'Ettjadid, M. Ahmed Brahim, en fit les frais dimanche à Sfax ; l'attaque qui a visé, dans son domicile même à Bizerte, un résistant de la première heure et prestigieux militant des droits de l'Homme, M. Ali Ben Salem; la provocation gratuite de l'armée à Kasserine et cette liste est loin d'être exhaustive ! Il saute ainsi aux yeux qu'il existe bel et bien un plan concerté qui vise à semer la terreur dans la population, entraver l'action du gouvernement provisoire, désorganiser la vie économique, faire taire toute expression politique indépendante et, même, à pousser les forces armées à entrer davantage sur la scène. Quelles sont, d'abord, les parties qui tirent les ficelles, se cachent derrière les casseurs et distribuent généreusement l'argent aux fauteurs de troubles ? Qui a intérêt à ce que la révolution avorte, le processus démocratique échoue et l'instabilité et l'anarchie se généralisent ? A qui, finalement, profite le crime ? Il ne faudrait pas chercher très loin et longtemps la réponse car la Révolution menace, en premier, les anciens cadres du RCD dont la capacité de nuisance reste manifestement intacte, qui jouent ici leur dernier atout et pèsent de tout leur poids afin de faire basculer les événements de nouveau en leur faveur. Il ne faudrait pas perdre de vue non plus les responsables encore en place qui craignent d'être accusés de collusion avec l'ancien régime et risquent donc de comparaître prochainement devant les tribunaux pour corruption. Or, ces gens passibles des cours de justice se trouvent à tous les niveaux de l'administration et dans des organisations où ils pratiquent quotidiennement la surenchère. Ils agissent avec le secret espoir d'arriver à faire oublier leurs douteux états de service et la servilité dont ils faisaient preuve à une époque pas si lointaine où ils suppliaient leur maître, en toute illégalité, à se présenter pour un nouveau mandat présidentiel. Mais l'opinion publique est-elle si facile à duper ? Est-elle, vraiment, comme le pensent les naïfs, amnésique ? Si certains se sont arrogé le droit d'aller chasser des ministres de leurs bureaux, pourquoi ne pas aller déloger tel responsable syndical, par exemple, d'une si prestigieuse institution comme l'UGTT qu'il occupe indignement ? Qui croit sérieusement dans ce pays que M. Abdeslam Jrad, pour ne pas le nommer, est un véritable révolutionnaire dont l'unique souci est de protéger la Révolution ? Qui a déjà oublié ses compromissions avec l'ancien pouvoir ? Pourquoi ne pas lui demander : «Mais qui t'a fait roi ?» Aussi, si les occupants de la place de La Kasbah ont fini par avoir raison de l'admirable résistance de M. M. Ghannouchi, pourquoi ne pas investir la place Mohamed Ali jusqu'au départ de M. Abdeslam Jrad ? “Dégage” a tant servi depuis le 14 janvier qu'il peut servir encore ! Voilà notre message à l'adresse de tous ceux qui, directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, mais objectivement, jettent discrédit et suspicion sur les membres du gouvernement, en paralysent l'action, font monter chaque jour davantage les enchères et, finalement, se rendent complices des commanditaires de l'action violente et de tous ceux dont les efforts néfastes visent la déstabilisation du pays et l'échec de la Révolution ! A tous ces contre-révolutionnaires nous dirons, chaque jour un peu plus fort, «No passaran», «Ils ne passeront pas». Si, maintenant, la rue se met à dicter sa loi, à faire et à défaire les ministres et même les ministères, alors la masse silencieuse a le légitime devoir de faire entendre une voix différente. Il est de son droit de disputer le pavé aux radicaux qui prétendent injustement représenter le peuple et parler en son nom. Les occupants de la place de La Kasbah, les membres hétéroclites du soi-disant Conseil de protection de la Révolution, ceux qui se considèrent les porte-parole de la classe ouvrière, tous, pour nombreux qu'ils soient, ne représentent, en réalité, qu'une infime partie du peuple tunisien. Après son brillant coup d'essai dimanche 27 devant la résidence de M. M. Ghannouchi, réédité aujourd'hui, lundi 28, à la Coupole d'El-Menzah, la majorité silencieuse doit entrer plus souvent en scène, renoncer à son mutisme et crier haut et fort : «Nous sommes le Peuple !», «Ne touchez pas à notre Révolution !»