Par Abdelhamid Gmati Des centaines, voire des milliers de Tunisiens, se sont réunis pour aller s'asseoir et camper Place de la Kasbah, pendant plusieurs jours. Objectif : se faire entendre, dire leurs revendications ou celles d'autres, interpeller le gouvernement transitoire et toute l'opinion publique. D'autres milliers ont fait la même chose à la «Kobba» d'El Menzah, devant la Cité olympique, mais pour transmettre d'autres revendications… On a même vu des chefs d'entreprise manifester et afficher des appels au retour au travail, des mises en garde contre le risque de pagaille, la perte des emplois, etc. Bien entendu, aucun de ces groupes ne peut prétendre représenter le peuple. La rue n'est pas le peuple, a-t-on répété à satiété. Mais elle est une partie du peuple. Même minoritaire. Les manifestations ont rappelé plusieurs discours sur «la rue arabe», métaphore utilisée pour désigner «l'opinion publique arabe». Mais il y a aussi d'autres rues : «rue britannique», «rue américaine»…L'expression a collé au monde arabe, notamment depuis l'Intifadha palestinienne. En l'absence d'un espace politique adéquat permettant au peuple de s'exprimer, de débattre, de dégager une majorité, la rue a servi de supplétif. Quoiqu'il en soit, c'est dans la rue que la révolution tunisienne a été déclenchée et s'est imposée, balayant la dictature et exprimant les motivations et les objectifs populaires. Et c'est par la rue qu'elle a continué à transmettre ses revendications du moins celles qui font consensus. Les autorités de transition (président de la République et Premier ministre) en ont pris connaissance et y ont répondu favorablement. On peut dire qu'il y a là une communication qui s'est faite : les uns expriment, les autres répondent. Ni vainqueurs, ni vaincus mais dialogue qui augure de jours meilleurs. N'oublions pas que le jeune Bouazizi s'est immolé par désespoir, parce qu'il avait désespéré d'être entendu. Mais il ne faut pas se leurrer et tout ne peut être réalisé sur simple demande. Relevons d'abord certaines attentes irréalistes. Comme celles concernant la récupération des sommes et richesses volées par le dictateur filou et sa grande famille. Certains pensent que ces richesses seront distribuées. Un chauffeur de taxi se préparait à lâcher son boulot dès qu'ils auraient sa part de l'argent trouvé dans la villa de Sidi Bou Saïd. Il a fallu lui expliquer que ces sommes seront utilisées par l'Etat tunisien pour financer ses programmes (création d'entreprises et d'emplois…) au bénéfice de toute la population. Il y a aussi un état d'esprit qui s'est développé. Celui qui a amené certains à squatter des logements et des terrains agricoles et à se les approprier sous prétexte de révolution. Un gardien de parking était furieux et menaçait de faire du zèle parce que les tarifs décidés par la mairie ne lui convenaient pas : «On ne m'a pas consulté». La même explication a été donnée par un responsable syndical refusant la nomination du nouveau Premier ministre. Un jeune campant à la Kasba estimait que le lopin de terre sur lequel il se trouvait lui appartenait : «Personne ne décide sauf moi», affirmait-il sur une chaîne de télévision. Pas graves ces «maladies infantiles» de la révolution. Mais il faut y prendre garde et les traiter préventivement. La communication a été établie et la concorde semble rassembler les individus et les institutions autour de certains objectifs comme la Constitution et l'élection d'une Assemblée constituante. Cependant, la vigilance reste de mise, la mobilisation aussi. Non pas seulement pour suivre de près ce qui se fait et se décide mais aussi pour participer à la réalisation des objectifs. En commençant par la sécurité qui n'est pas seulement du ressort des services de sécurité ; et faire repartir l'économie sans laquelle une bonne partie des objectifs de la révolution ne sera pas réalisée. Ce serait désastreux de retourner dans la rue pour exiger des…emplois. Il ne suffit pas de ronchonner, il faut retrousser ses manches. Et appeler à des élections est une nécessité pour asseoir la démocratie. Mais gare à l'absentéisme.