Par Maher KAMOUN * Finalement, après 47 longues journées d'attente, le président de la République par intérim a annoncé la feuille de route devant permettre, à son échéance, au peuple tunisien d'exercer sa pleine souveraineté, longtemps illégitimement confisquée. Alors qu'il était bien clair dès le départ que le peuple, enfin libéré de la tyrannie de Ben Ali, voulait "en finir avec son régime déchu, définitivement et de manière irréversible", les 47 journées ont été, en fait, bien longues et le retard qui en a découlé, tout à fait injustifié. La seule raison qui pouvait les expliquer ne pouvait être autre que l'hésitation du gouvernement transitoire mis en place, dépourvu de légitimité réelle, et qui s'est avéré en plus très faible et peu efficace. Cette hésitation a donné l'occasion aux contre-révolutionnaires de mettre en doute la capacité des Tunisiens de se prendre en charge et aux "manipulateurs" d'occuper indûment la scène politique, de s'auto-investir comme représentants du peuple, de parler et d'agir en son nom. Avec le temps, ces contre-révolutionnaires et ces manipulateurs se sont avérés trop nombreux et leurs moyens de nuisance, voire de destruction, très puissants. C'était donc très grave‑! La révolution était mise en danger, et la Tunisie toute entière aurait pu basculer dans le chaos. Aussi, pouvons-nous aujourd'hui nous résigner à dire : mieux vaut tard que jamais‑! Venons-en à présent à la feuille de route, nous retenons une date cruciale, celle du 24 juillet, date à laquelle le peuple élira, en toute transparence, une Assemblée nationale constituante, qui aura la responsabilité de représenter légitimement le peuple, d'incarner sa souveraineté et de porter haut les valeurs de sa révolution. Mais, que doit-il se passer avant cette date du 24 juillet et après? Avant, ça sera évidemment le statu quo, une organisation provisoire et transitoire des pouvoirs publics menée par le Président intérimaire et le gouvernement de transition recomposé. Le nouveau Premier ministre semble, par son charisme, et sa grande expérience d'homme d'Etat, avoir eu le préjugé favorable pour mener à bien, avec le Président intérimaire, cette délicate phase transitoire. Les deux, ainsi que tous les autres membres du gouvernement se sont engagés politiquement à ne pas se présenter aux futures élections. Que le bon Dieu les aide. La Commission nationale présidée par le Pr Iyadh Ben Achour, rebaptisée "commission pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique" et dont le conseil regroupe désormais des personnalités représentant les différents partis et instances politiques, les organisations nationales et les composantes de la société civile, aura la tâche de proposer, en un temps record, et en tout cas avant la fin du mois, un Code électoral spécial, devant servir pour l'élection de l'Assemblée constituante. Cette tâche n'est pas aisée, elle requiert un grand sens de responsabilité, une souplesse d'esprit et surtout la capacité de faire prévaloir l'intérêt du pays sur tout autre intérêt quels qu'en soient l'importance et l'impact. Dès l'adoption du système électoral s'ouvrira à partir du 1er avril, la période de préparation et d'organisation des élections qui se terminera le 24 juillet, jour du scrutin. Il s'agit là donc de la phase la plus délicate du processus de transition. La réussite de la révolution est largement conditionnée par son déroulement démocratique et pacifique. Les partis politiques, les organisations nationales et toute la société civile seront mis à l'épreuve. Chacun assumera sa part de responsabilité devant l'opinion nationale et internationale et devant l'histoire. Juste après le 24 juillet, il faudrait une petite semaine pour déclarer les résultats du scrutin et procéder à la convocation des nouveaux députés. Ceux-ci tiendraient normalement leur séance inaugurale au tout début du mois d'août. A partir de cette date, le processus de transition prendra fin et le mandat du président de la République par intérim, ainsi que celui du gouvernement provisoire s'achèveront. Mais, pour garantir la pérennité de l'Etat, et assurer sa continuité, et en attendant l'adoption d'une nouvelle Constitution et sa mise en application, l'Assemblée Constituante devra, sans délai, mettre en place une nouvelle organisation provisoire des pouvoirs publics. Elle définira dans ce cadre, la mission et le mode de désignation du nouveau chef de l'Etat, ainsi que le mode de désignation du gouvernement, ses missions, ses responsabilités, etc. l'Assemblée devra aussi, dès le départ, fixer une nouvelle feuille de route. Elle en sera responsable directement devant le peuple. Une fois les pouvoirs publics réorganisés, et les nouvelles instances mises en place, l'Assemblée s'attellera à sa mission principale, qui consiste à choisir le régime politique qui répondrait au mieux aux aspirations du peuple et à confectionner le texte de la nouvelle Constitution. Elle décidera aussi du mode d'approbation de ce texte fondamental et du recours éventuel à un référendum populaire. Remarquons en passant, que l'organisation provisoire des pouvoirs ne prendra pas fin dès l'adoption de la nouvelle Constitution. Celle-ci prévoira, en effet, de nouveaux organes exécutif et législatif qu'il s'agira d'élire. Pour organiser ces élections, l'Assemblée devra adopter un nouveau Code électoral. Au terme de ce processus, qui devrait durer à mon avis entre 18 et 24 mois, nous aurons enfin un nouveau régime et de nouvelles instances politiques élues démocratiquement. Ce ne sera qu'à cette échéance que nous pourrons être sûrs que la révolution a bien réussi et que le sang de nos martyrs n'a pas été versé en vain. * Ancien directeur ENA