De notre correspondant à Ras Jedir • Un pont aérien pour transporter 2.000 Bangladeshis par jour • La tension monte entre les réfugiés impatients • Des convois de médicaments empruntent la voie du désert pour atteindre la ville de Zaouia A-t-on dépassé la phase critique ? Plusieurs signes confirment cette thèse. En effet, le flux des migrants fuyant le désastre libyen a considérablement baissé. De l'autre côté de la frontière, les forces fidèles à Gueddafi empêchent la majorité de passer. Signe inquiétant pour certains et rassurant pour d'autres, les prochains jours, voire les prochaines heures, dévoileront le plan des autorités libyennes. D'un autre côté, le rythme du rapatriement, notamment des Bangladeshis, s'est accéléré avec l'établissement d'un pont aérien vers le Bangladesh. De ce fait, la mosaïque de tentes dressées au camping des réfugiés de Choucha, 6,5 kilomètres du poste frontalier de Ras jdir, s'est avérée capable d'accueillir les milliers de réfugiés de toutes les nationalités, bangladeshis, somaliens, tchadiens, nigérians, ghanéens... Dans l'une des tentes du camp vert, dressée par l'armée nationale, on a rencontré une famille somalienne. Etant le chef de la tente, M. Foued Mohamed Ahmed, un cuisinier, a déclaré : «On a échappé à la guerre en Libye. Avec d'autres familles somaliennes, on a loué des taxis à raison de 100 dinars par personne pour atteindre la frontière. Sur la route, plusieurs barrages de police, de l'armée et des civiles nous fouillent et nous confisquent les téléphones, les cartes mémoires... Heureusement, on a passé la frontière. Ici, au camp, les conditions sont très favorables, surtout pour nos enfants. En plus du lait et des médicaments, le médecin passe régulièrement pour faire des consultations». Et comme solution, il a ajouté «On espère une prise en charge par les Nations unies ou l'Union européenne. On veut partir vers un pays européen. On ne peut pas et on ne veut pas revenir en Somalie.» Au fond de la tente, avec un accent peu compréhensible, Faisa, Somalienne, se plaint, à haute voix, des conditions de vie et de travail en Libye : «Je travaillais dans une entreprise turque. Le boss nous a quittés sans argent, sans papiers, sans rien. Dans les rues on risquait d'être agressé par tous. On a échappé à l'enfer. Je ne veux pas retourner en Somalie, je veux aller travailler dans un autre pays». Près d'elle, avec son enfant dans les mains, Nafisa Abdullah, femme au foyer, déclare‑: «Mon enfant mange bien, mais il a beaucoup souffert de la poussière. Je veux bien l'amener au médecin du camp». En sortant de la tente, une groupe de jeunes entoure une petite casserole. Avec un grand sourire, l'un d'eux lance, en rigolant : «On prépare des spaghettis». Parmi ces jeunes ghanéens Addai Johnny a expliqué « ces derniers temps j'ai rencontré plusieurs problèmes. A l'instar des autres africains, on est assimilé aux mercenaires employés par Gueddafi pour combattre les insurgés. Considéré comme criminel, je n'ai aucune chance de vie dans un pays dépourvu de justice. En Tunisie, j'ai retrouvé la paix.» Et d'ajouter : «L'ambassade du Ghana à Tripoli nous a négligés. Etant sans papiers, puisqu'on a émigré clandestinement en Libye, l'un des fonctionnaires nous a conseillé de nous diriger vers la frontière tunisienne. Par contre, les services de l'ambassade à Tunis sont excellents. Ils nous visitent régulièrement, nous parlent et nous informent de toutes les nouvelles. Je sais que je vais partir prochainement et je suis très heureux», A quelques mètres, portant son enfant sur son dos, Eolna, Nigérienne de 28 ans, semble déçue et inquiète : «Je suis ici depuis quatre jours. A chaque fois on me rappelle que je suis sans papiers et que je dois patienter. J'en ai marre. Je m'inquiète pour mon bébé. Faute d'eau chaude, il n'a pas pris de bain depuis quelque temps. Si on a fui la Libye, c'est pour être bien traités». Un peu plus loin, Zaineb, Tchadienne, commerçante, mère de six enfants, témoigne : « Je travaille à Zouara depuis huit ans. Je n'ai jamais vu la ville aussi triste et aussi invivable. On a vécu 20 jours de terreur pendant lesquels on a consommé toutes nos provisions». Les Bangladeshis préparent leur retour En amont du camp, des milliers de bangladeshis attendent leur tour pour partir. A la criée, un représentant de l'ambassade la bangladeshie à Tunis appelle la personne programmée pour partir et lui jette le passeport. Fou de joie, l'appelé se précipite pour ranger ses affaires et regagner le bus qui le transportera à l'aéroport. Les Bangladeshis semblent très satisfaits du rythme des rapatriements. On apprend que le pont aérien transporte 2,000 personnes par jour. Dans la foule, l'un des Bangladeshis, M. Shajahan, maçon, relève que «des amis libyens m'ont conduit de Misrata jusqu'à la frontière. Ça fait trois jours que je campe ici. Comme vous voyez chacun attend son tour. D'après la cadence du rapatriement, accéléré par le pont aérien établi par le Bangladesh, j'estime que c'est au cours de cette semaine, dans trois ou quatre jours, que je regagnerai mon pays et ma famille. J'appelle les autorités de mon pays à secourir les compatriotes coincés en Libye». Bagarre générale Hurlant «We want go home», une dizaine de jeunes portant le drapeau nigérian ont voulu faire entendre leur voix. Impatients, furieux et armés de bâtons, ces manifestants se sont dirigés vers la foule de Bangladeshis qui attendent leur tour pour partir et ils ont agressé quelques-uns. Plus nombreux, la réaction des Asiatiques a été d'envergure. Du coup, une bagarre générale s'est déclenchée et le chaos a duré quelques minutes. Tout le monde fuit tout le monde. Pour faire régner l'ordre de nouveau, les forces armées sont intervenu massivement. On a constaté qu'un hélicoptère volait à une très basse altitude. On apprend, par ailleurs, que ce n'est pas une première. Parmi les blessés Azimouddine, un Bangladeshi : «L'un des agresseurs m'a visé par une pierre, directement à la tête. J'ai rien fait. J'attends impatiemment mon tour pour rentrer, je veux rentrer, juste rentrer». Lors de ces actes de violence l'un des Nigérians a été grièvement blessé. Seule l'accélération du rythme des rapatriements baissera d'un cran la tension entre les réfugiés. Situation sanitaire maîtrisée Le médecin colonel Fethi Bayoudh, coordinateur du camp des réfugiés, a démenti toutes les rumeurs relatives à la détection d'éventuelles épidémies ou de maladies contagieuses de premier degré. Il a déclaré que «tellement la situation est stable, on fonctionne à seulement 10% de notre effectif. Outre les rhumes et les diarrhées causés par les changements de climat et de régime alimentaire, on a détecté un nombre insignifiant de cas de conjonctivite et de gale. Ces personnes ont été isolées et bénéficient d'une priorité au rapatriement. Mieux encore, plusieurs actions préventives ont été menées pour se prémunir contre tout risque». Et d'ajouter : «Nous avons besoin de multiplier les activités d'animation pour apaiser la tension entre les groupes. On a déjà aménagé un terrain de foot mais c'est loin d'être suffisant» Caravanes de solidarité En consécration des nobles valeurs de solidarité, le peuple tunisien n'a pas manqué l'occasion pour démontrer son soutien infaillible à toutes les personnes en détresse. Tous les jours, on compte plusieurs caravanes à destination de Ras Jedir. En provenance de Zahrouni(Tunis), M Riadh Dhiab a décrit la caravane : «C'est une initiative spontanée des jeunes de notre quartier, sans aucun encadrement d'aucune partie politique. On a dressé une tente pour regrouper les aides de tous les habitants du voisinage. Après consultation de plusieurs organisations, nous avons axé nos efforts sur la collecte de médicaments de base, des produits détergents, des couverts à usage unique, ainsi que des matelas et des couvertures». Sur les lieux, les participants aux sit-in de La Kasba sont présents. M. Elyes Mahmoudi confie : «Nous continuons de militer sur tous les fronts pour une nouvelle Tunisie répondant aux aspirations des jeunes. Nous sommes mobilisés au service de notre pays. Tous les volontaires participent à des services de soutien aux forces armées et aux équipes médicales». Son collègue, M. Mehrez Manai ajoute : « Je tiens à préciser que le camp dispose d'un important stock de produits alimentaires. J'appelle toutes les caravanes de solidarité à centrer leurs donations sur les médicaments et les produits pharmaceutiques». Au-delà de la frontière, les habitants de Ben Guerdane ont chargé six voitures tout-terrain, de médicaments, notamment pour les premiers soins et les états grippaux. Dans l'impossibilité d'atteindre la ville de Zaouia, ou même de dépasser la frontière, les voitures ont emprunté la voie du désert, celle de la contrebande. A la ville de Jmil, ils déchargeront leurs contenus et les Libyens assureront le relais et achemineront les aides à Zaouia. On apprend que d'autres convois sont programmés.