Par Ghofrane BEN GADHA Ce n'est qu'un honneur que de saluer au début les âmes des martyrs tombés lors de la révolution de l'honneur et de la dignité et qui, par leur sang, ont arrosé et arrosent encore notre arbre de la liberté. Qu'ils reposent en paix et puisse Dieu le Tout-Puissant les accueillir dans Son éternel Paradis et prompt rétablissement à nos blessés. Très chère peuple tunisien Monsieur le président intérimaire C'est dans la douleur que je m'adresse à vous pour vous faire part du malheur que j'ai vécu, en espérant que mes mots trouvent écho après avoir été ignorés sept années et six mois durant. Je suis un jeune Tunisien âgé de 34 ans, j'ai toujours fait partie des lauréats tout au long de mon cursus scolaire et universitaire, un cursus couronné par l'obtention en juin 1999 d'une maîtrise en gestion comptable de l'IHEC. Après quoi, et tout en poursuivant mes études post-universitaires, je me suis installé à mon propre compte en créant, en février 2000, la première agence de communication événementielle en Tunisie. J'ai, au fil des mois, et grâce à une persévérance dans l'effort, réussi à me trouver une place dans le marché local. Grâce à mon sérieux, j'ai noué d'excellentes relations avec des agences françaises opérant dans mon secteur d'activité, allant jusqu'à obtenir la représentation exclusive d'une importante société française de production artistique et d'organisation de grands concerts. En 2002, j'ai créé une autre société opérant dans le secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication et à aucun moment, je n'avais imaginé que cette réussite m'allait être fatale. En effet, j'ai été contacté, vers la fin de 2002, par une personne qui s'est présentée comme mandatée par une autre plus «puissante» et ayant un très bon «relationnel» pour me proposer une coopération sur l'organisation de méga-concerts d'artistes occidentaux. Toutefois, et abordant le volet financement de ces opérations, cette personne m'a informé que celle qu'elle représentait aura 50% des bénéfices éventuels sans participer au financement effectif desdites opérations. Devant quoi je n'ai pu que décliner cette offre prétextant mon incapacité financière. Quelques mois après, cette même personne m'a contacté pour me présenter un dénommé Faouzi qui, à son tour, a proposé de m'aider à trouver le capital nécessaire au financement des spectacles projetés; il m'a demandé de lui trouver des candidats désirant avoir un visa pour la France, et là j'ai mordu à l'hameçon et durant les quatre premiers mois de 2003, il a réussi à obtenir des visas pour certaines personnes que je lui ai présentées et qui ont pu, effectivement, quitter la Tunisie pour travailler en France. Au mois de juin 2003, Faouzi m'a proposé d'organiser un voyage de groupe, je lui ai délivré des passeports de personnes intéressées et la contrepartie financière, et je n'étais pas le seul à le faire. Le 02 juillet 2003, quelle fut ma surprise lorsque je découvris que sur les passeports qu'il m'a retournés il y avait des faux visas. J'ai vainement essayé de le joindre pour récupérer les passeports encore en sa possession et voir une issue à cette impasse. Le 04 juillet, je fus arrêté pour escroquerie, faux et usage de faux… Devant les agents de la police judiciaire, quelle fut ma surprise lorsque citant Faouzi, ils m'ont demandé de l'oublier et de ne plus en parler, même pas devant le juge d'instruction sous peine de les voir transférer les dossiers, chez eux ouverts, à la justice d'une manière successive de façon à ce que je passe le restant de ma vie en prison, ce que j'ai cru et j'ai fait ce qu'ils m'ont demandé. En 2004, j'ai été condamné à deux ans et huit mois de prison ferme. Le 17 juillet 2005, la cour d'appel de Monastir a maintenu le jugement en me condamnant à treize ans de prison. En 2006, on m'a jugé coupable et condamné à quatre mois, en 2009 à trois mois… totalisant une peine de dix-sept années et huit mois de prison, et jusqu'à maintenant on continue à me juger pour des plaintes déposées en 2003! Ainsi j'ai vu toute ma vie couler devant mes yeux, avec ma famille nous avons vécu des années des plus sombres et des plus douloureuses. Face à cette situation, et pour sauver, un tant soit peu, ma vie, je me suis inscrit en Master approfondi et je passais l'essentiel de ma journée pénitentiaire entre mes livres et mes documents. A plusieurs reprises, j'ai écrit au président déchu et à ses ministres en charge de la Justice et des Droits de l'Homme, mais c'était compter sans leur indifférence. Le soir du 14 janvier 2011, la prison civile de Monastir a pris feu. Après une nuit chaotique, les détenus ont quitté les lieux. Avec vingt-trois autres détenus, nous avons préféré y rester. Le lendemain, vers 11h30, nous avons été libérés par le directeur de l'établissement qui a demandé l'avis de l'administration pénitentiaire. Aujourd'hui, cette lettre ouverte m'offre l'occasion de demander pardon au peuple tunisien pour tout le mal que, volontairement ou non, j'ai pu commettre et me permet de m'adresser à vous, Monsieur le président intérimaire, pour solliciter une grâce qui me permettra de me joindre à vous dans la construction de cette Tunisie nouvelle que nous voulons tous et pour laquelle a coulé le sang de nos martyrs. Je vous demande une chance pour affirmer ma dignité de Tunisien. * (Citoyen en liberté provisoire)