Il va sans dire que des représentations théâtrales au temps de la révolution constituent un réel défi à toute forme de régression et c'est une manière plus qu'active de participer vivement à la grande action de reconstruction du pays. Le théâtre, cet art citoyen, a pris part à la révolution tunisienne et de nouvelles productions ont vu le jour, affranchies de toutes les lignes rouges. Rissala ila oummi (lettre à ma mère) de Salah El Faleh Ben Youssef, dont la première a été donnée un certain vendredi noir, est une parabole sur la situation que vit notre pays. Trois hommes et deux femmes expriment la ferveur et le désir d'émancipation d'une société hétéroclite. Cette pièce, montée bien avant le 14 janvier, avait un discours prémonitoire, annonciateur et dénonciateur. «Lettre à ma mère», qui se veut le porte-parole du citoyen moyen qui vivotait au quotidien, pris au piège d'un vécu oppressif, révèle une force au niveau du verbe et une diversité de lecture intéressante que la mise en scène avait du mal à renvoyer. Le texte est découpé, pris en charge par les comédiens à tour de rôle. Mais malgré cette densité, les phrases s'effritent et se dissolvent dans un jeu pas très convaincant et pour cause… Ce travail nous donne l'impression que le jeu et l'interprétation sont venus se greffer à un texte écrit à l'avance et qui n'a pas assez mûri sur la scène. D'autant plus que l'accélération des évènements pré-révolution et post-révolution a bousculé un peu les choses. Salah Ben Youssef réussit tout de même à tirer son épingle du jeu, en évitant toute forme de discours direct, essayant plutôt de l'inscrire dans une proposition esthétique et de laisser parler la sincérité d'un point de vue personnel. «Lettre à ma mère» est une ébauche qui gagnerait à être retravaillée, surtout dans le sens d'une exploration approfondie des potentialités d'un texte jusque- là mal exploité. Une pièce qui révèle, toutefois, une belle sensibilité restée à l'état brut. On reviendra volontiers la revoir sous une nouvelle forme plus réfléchie et plus travaillée.