Le rôle économique de l'assurance vie est bien connu. En plus d'être un moyen de protéger les familles contre les conséquences d'évènements malheureux, l'assurance vie permet de mobiliser l'épargne longue, à travers notamment des produits de retraite complémentaire. Il n'y a pas un pays qui ne cherche à développer ce créneau en recourant essentiellement aux incitations fiscales. Notre pays n'échappe pas à la règle. Or si les incitations existent bel et bien en Tunisie, il semble bien qu'elles ne soient pas suffisamment efficaces. A voir l'évolution des primes d'assurance vie collectées en Tunisie, on serait tenté de se dire «tout va bien dans le meilleur des mondes». De 65,6 MD (millions de dinars) en 2006, le chiffre d'affaires Vie du marché n'a cessé de progresser pour atteindre 132,7 MD en 2009, soit une croissance annuelle moyenne au taux de 19%. De quoi faire des jaloux car nombre de secteurs rêvent d'afficher une telle progression. En outre, la part de l'assurance vie dans le marché de l'assurance dans son ensemble n'a cessé d'augmenter. Cette part s'est élevée à 13% en 2009 alors qu'elle n'était que de 9% cinq années auparavant. Désormais, l'assurance vie se place comme la 3e branche d'assurance derrière l'assurance automobile et l'assurance maladie. Des indicateurs à inventer Or tout porte à croire que cette croissance est alimentée par la progression spectaculaire des crédits aux particuliers. L'encours des crédits bancaires aux particuliers est passé de 5306,7 MD fin 2006 à 8.779,2 fin 2009 enregistrant ainsi une croissance annuelle moyenne au taux de 18%. En effet, le déblocage de ces crédits nécessite la production d'une assurance vie (du type Temporaire Décès) qui garanit à l'organisme prêteur la récupération du capital restant dû en cas de disparition prématurée de l'emprunteur. Il se trouve que ce n'est pas avec ce type d'assurance vie que l'on pourra booster l'épargne stable et de long terme. Ceci ne peut se réaliser qu'avec les formules permettant de se constituer un complément de retraite, lesquelles formules n'ont pas encore acquis, de toute évidence, leur lettres de noblesse dans notre pays. Une fiscalité à parfaire Les rapports annuels réalisés aussi bien par la profession, via la Ftusa (Fédération Tunisienne des Sociétés d'Assurance) que par l'autorité de régulation du secteur, à savoir le Comité Général des Assurances, ne permettent pas malheureusement de renseigner avec précision sur la contribution de chaque type de produit. Or comme dans toute entreprise, quand on est dépourvu d'indicateurs précis, on ne peut que naviguer à vue avec le risque de s'éloigner des objectifs assignés. Qu'en est-il alors des incitations fiscales censées familiariser l'épargnant tunisien avec l'assurance vie en tant que solution permettant de mieux se préparer pour ses vieux jours ? Les textes fiscaux prévoient que les versements effectués par l'assuré sont déductibles de son revenu imposable, ce qui lui permet de bénéficier de réductions d'impôt (Irpp). A juste titre, cet avantage est accordé avec certaines conditions. Ainsi, le contrat d'assurance souscrit en vue de la retraite doit avoir une durée d'au moins 10 ans. Si pour une raison quelconque, l'assuré veut récupérer son épargne avant terme (opération appelée rachat dans le jargon des assureurs), il est obligé d'aller à la recette des finances et de demander un quitus fiscal. Cette démarche est obligatoire même si l'assuré en question n'a pas bénéficié de la réduction d'impôt à laquelle il a normalement droit. Il est strictement interdit à l'assureur de régler à son client la valeur de rachat, si ce quitus fiscal n'est pas présenté. Or il se trouve que nombre d'épargnants ont été piégés en suivant cette démarche. Il suffit qu'ils ne soient pas totalement en règle avec le fisc pour que le rachat de leur contrat d'assurance vie soit à l'origine de redressements fiscaux. D'ailleurs, il arrive parfois qu'un assuré renonce au rachat, pour éviter d'avoir affaire avec l'administration fiscale. Pour éviter ce genre de problème avec toutes les conséquences que cela comporte sur l'image véhiculé par l'assurance vie, il aurait été bien plus judicieux d'imaginer une autre « sanction » pour l'assuré. Par exemple, l'imposition des revenus générés par le contrat d'assurance vie si le rachat survient pendant les 10 premières années. C'est la solution qui a été retenue au Maroc, pays comparable au nôtre et où l'on assiste d'ailleurs à un véritable développement de l'assurance vie au cours de ces dernières années. L'autre condition a trait au montant déductible qui est plafonné. Le plafond dépend de la situation familiale de l'assuré. A titre d'exemple, un chef de famille, marié et ayant deux enfants à charge ne peut pas déduire plus que 2.400 dinars par an, ce qui limite forcément la portée de l'avantage fiscal. Si ce chef de famille est âgé de 45 ans, a un salaire brut annuel de 35.000 dinars et travaille pour le compte d'un employeur qui ne s'est pas affilié au régime complémentaire de la CNSS (régime communément appelé «Cavis»), alors sa future pension de retraite risque de représenter moins que 40% de son dernier salaire d'activité. C'est dire le besoin, dans certains cas, de souscrire une assurance vie permettant de faire face au problème de baisse des revenus à la retraite. Les mesures fiscales censées encourager la souscription d'une assurance vie risquent alors de ne pas produire l'effet escompté. Encore une fois, on ferait mieux de nous inspirer de l'expérience marocaine qui permet aux salariés de déduire les primes d'assurance vie de leur revenu imposable sans aucune limite ; quant aux non salariés, la déduction est limitée sauf que cette limite n'est pas absolue et elle représente 6% du revenu imposable. Notre pays a besoin plus que jamais de mobiliser de la meilleure façon ses ressources financières pour pouvoir relever les défis auxquels il doit faire face : investissements, infrastructures, créations d'emplois, croissance économique etc. L'assurance vie en tant que collecteur d'épargne stable et de long terme peut apporter une réelle contribution. Il nous appartient d'exploiter ce filon comme il se doit. (Directeur à Hayett, Compagnie d'assurance- vie et capitalisation)