ANKARA (Reuters) — Le gouvernement turc menace d'expulser jusqu'à 100.000 personnes d'origine arménienne, après l'adoption par les parlements américain et suédois de résolutions accréditant la thèse du génocide de 1915. Le Parlement suédois a qualifié la semaine dernière de génocide le massacre des Arméniens par l'armée ottomane en 1915. Ankara a rappelé son ambassadeur à Stockholm et le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, a annulé une visite en Suède. Une semaine plus tôt, la Turquie avait rappelé son ambassadeur aux Etats-Unis après un vote analogue à la commission des affaires étrangères de la Chambre des Représentants. Bien qu'elle reconnaisse la mort de nombreux Arméniens chrétiens dans les massacres qui débutèrent en 1915, la Turquie refuse d'admettre que près d'un million et demi de personnes aient été tuées et que l'on évoque à ce propos un génocide — terme qu'emploient en l'occurrence de nombreux historiens occidentaux. "Il y a actuellement 170.000 Arméniens vivant dans notre pays. Seuls 70.000 possèdent la citoyenneté turque, et nous tolérons les 100.000 restants", a déclaré Erdogan dans une interview mardi au service turc de la BBC. "Si c'est nécessaire, je pourrais avoir à annoncer à ces 100.000 personnes qu'ils doivent rentrer dans leur pays car ils ne sont pas mes compatriotes. Je n'ai pas à les garder dans mon pays", a-t-il ajouté. Aris Nalci, journaliste à l'hebdomadaire turco-arménien Agos, a relativisé les menaces d'Erdogan, en soulignant que ce dernier les avait déjà formulées dans le passé. "Nous ne les considérons pas comme sérieuses", a-t-il ajouté. Suat Kiniklioglu, porte-parole pour l'international du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, a lui aussi minimisé la portée des déclarations du Premier ministre, en estimant qu'il s'agissait d'un simple "rappel" et en expliquant qu'Erdogan ne "parlait pas de quelque chose qui allait se passer aujourd'hui ou demain". Erdogan accuse la diaspora arménienne La majorité des Arméniens installés en Turquie vivent et travaillent à Istanbul. Beaucoup d'entre eux y sont arrivés après le tremblement de terre qui a frappé leur pays en 1988 et ils y travaillent illégalement, en envoyant de l'argent à leurs familles restées au pays. La Turquie et l'Arménie sont convenues l'an dernier de nouer des liens diplomatiques et d'ouvrir leur frontière si leurs parlements respectifs approuvaient des accords de paix, mais aucun vote n'a encore eu lieu à cette fin et les deux gouvernements se sont accusés de chercher à modifier les textes. Pour ratifier un accord de paix, Ankara exige que des Arméniens de souche se retirent des lignes de front dans la région montagneuse disputée du Haut-Karabakh, enclave arménienne en Azerbaïdjan. Le Parlement d'Azerbaïdjan a dénoncé le vote des représentants américains, estimant qu'il portait atteinte à la stabilité régionale et nuisait aux efforts de règlement du conflit du Haut-Karabakh. Selon le gouvernement de Bakou, allié traditionnel de la Turquie, une telle marque de soutien ne peut que renforcer l'intransigeance de l'Arménie sur ce dossier. Dans son entretien à la BBC, le Premier ministre turc accuse la diaspora arménienne d'être à l'origine des résolutions américaine et suédoise et exhorte l'Arménie et les principales puissances à ne pas se laisser influencer par cette campagne. "L'Arménie a une décision importante à prendre. Elle devrait se libérer de son attachement à la diaspora. Tous les pays qui ont le souci de l'Arménie, à savoir les Etats-Unis, la France et la Russie, devraient avant tout aider l'Arménie à se libérer de l'influence de la diaspora", estime Tayyip Erdogan.